Curieux paradoxe : alors que Resident evil délaisse le survival et sa mise en scène de l’angoisse pour préférer l’action tendance arcade depuis le quatrième épisode, Capcom reprend un genre définitivement arcade (le rail shooter) pour lui insuffler le rythme d’un survival. The Darkside chronicles, quatrième tentative de ces expériences transgenres (si on compte les précurseurs Dead aim et Survivor 2), espère capitaliser sur le succès commercial inattendu du précédent essai sur Wii (Umbrella chronicles). Toutefois, il faut d’abord considérer ces productions impures comme des insultes faites aux mécanismes du jeu de tir sur rail comme House of the dead. Chez qui tout repose sur les réflexes, la mémorisation d’un parcours dense et bref mais intense, qu’on termine la main endolorie. Le jeu forain par excellence, entre le train fantôme et le tir à la carabine, sans peluche à offrir à sa copine. Une fois qu’on a fait son deuil du genre, de toute façon en quasi mort clinique depuis un moment, on peut envisager The Darkside chronicles pour sa proposition singulière : retenter, encore, la greffe impossible entre deux conceptions antagonistes du jeu vidéo. Soit d’un côté, la lenteur et le frisson de l’horreur derrière la porte, mettons une certaine conception de l’angoisse et de l’épouvante qui hériterait plus de Tourneur que de Romero, finalement. De l’autre, la vitesse, effet parfaitement contraire du premier puisqu’il tend à neutraliser le hors champ supposé produire la peur. D’où l’impossibilité, entre ces deux régimes d’intensité, de trouver l’équilibre idéal. Le rythme du survival étant par essence opposé à celui du jeu de tir sur rail puisqu’il ne peut, pour produire une véritable incertitude de l’ombre, se baser sur l’accumulation excessive des figures (les zombies et autres monstres) censées la générer.
The Darkside Chronicles, même plus convaincant que son prédécesseur en terme d’action car mieux cadencé, ne peut ainsi être qu’un jeu bâtard. Mais pas négligeable pour autant, puisque contre toutes attentes, ce rythme décalqué du modèle d’origine et greffé à un autre genre permet de redonner un souffle narratif à la saga, là où les quatrième et cinquième épisodes l’avaient délaissé. Rien d’ébouriffant, le scénario demeurant d’un bis scrupuleusement fidèle à la série de Mikami. Donc toujours aussi nul. L’intérêt est ailleurs, pas dans le contenu, mais l’idée que Resident Evil constitue un réservoir inépuisable à fiction où dans chaque épisode tiendraient des dizaines de parenthèses possibles. Celles de Darkside chronicles se situent ainsi entre Resident evil 2, 4 et Code Veronica. Du fan service titillant la corde nostalgique ? Peu importe, ce qui compte c’est la proposition initiale : partir d’une story line et lui inventer une arborescence indéterminée permettant au jeu de se réinitialiser sans cesse. Chose dans laquelle Capcom est passé maître et qu’on aurait tort parfois de considérer comme une seule manne commerciale alors qu’il s’agit d’un projet. Car c’est peut-être aussi là où réside le plaisir de la série Resident evil (et au passage le malentendu sur l’accueil du cinquième épisode) : l’itération d’un univers et d’un gameplay qui ne se renouvellent pas mais se reconstituent ; ou plutôt mutent, sans jamais complètement changer de forme par rapport à ce qu’ils ont été lorsque Mikami les a imaginés.
C’est dans cette assurance confortable de se retrouver systématiquement en terrain connu, et à la fois toujours ouvert à de nouvelles pistes narratives à partir du même schéma, que Resident evil se déploie infiniment. The Darkside chronicles en est le parfait exemple : un jeu à la construction fractale et brisée, où chaque piste du scénario est explorée au travers d’une série de fragments mnésiques oubliés. Ainsi le jeu de revenir un peu malgré lui à la proposition de Paul Anderson dans la première adaptation cinéma de Resident evil : quand Milla Jovovitch, amnésique, écrit quelques mots sur un papier pour voir si elle reconnaît son écriture. Rejouer à un nouvel épisode de la saga, quelque soit son genre (survival, jeu de tir), revient un peu à se remémorer par le gameplay et la plongée dans un univers, quels étaient les épisodes précédents – on réévalue sans cesse l’expérience : quels types d’affects en fonction de quels mécanismes je pouvais ressentir en jouant au quatrième plutôt qu’au cinquième épisode ? Ce qui pourrait sembler banal et usuel à toutes séries dans le jeu vidéo prend une autre forme de cohérence avec Resident evil où l’on revisite, croise, d’épisode en épisode, les mêmes lieux et personnages, avec quelques nouveautés histoire de donner le change. Il y a dans la saga une certaine inertie malade, obsédée, cherchant une vérité inutile et toujours fuyante. A moins qu’il s’agisse d’une grande quête proustienne impossible et involontaire où les mêmes noms reviennent de manière entêtante et spectrale. Au fond Resident evil et ses corps protéiformes dégénérés tiennent du symptôme, de la tumeur maligne incurable et sans remède. On y revient sans cesse pour combattre un mal dont les régénérations successives relancent le plaisir du jeu et celui de se perdre dans un dédale narratif à la fois génial et grotesque.