Représenter l’invisible n’est déjà pas chose aisée dans un art visuel. La rendre interactif encore moins. Sous forme de conte didactique, le pari de Rain n’est pas sans témérité. Soit un décor urbain vidé de toute présence, baigné par une pluie continue. Seuls rescapés : un garçon, une fillette après qui il courre, et des créatures diaboliques, errant dans les rues.  Tous invisibles, les personnages ne se devinent– leur silhouette du moins – qu’en marchant sous la pluie. Abrité, les personnages et leurs mouvements sont alors réduits à quelques traces de pas sur le sol.

De ce postulat, le jeu en tire une variété riche en gameplay: réflexion, infiltration, coopératif (certaines actions se font en asymétrique avec l’aide de la jeune fille) et plateforme. Construit comme une rêverie poético-psychanalytique des peurs infantiles et de la rencontre amoureuse, le jeu couvre un éventail large d’interprétations sur la symbolique fantomatique. A chaque tableau, l’occasion de questionner la réalité d’une apparence (dans un univers qui la renie), l’expérience de la trace (de l’avatar, de l’action qu’on ne voit pas ou qu’on devine au son) qu’on peut laisser sur un espace virtuel. Autant de questions passionnantes que le jeu sait parfois mettre en scène avec retenue et élégance, sonore notamment (aux bruitages mouillés des mouvement se mêlent les notes du Clair de lune de Debussy).

 

On aimerait crier au génie, et pourtant Rain ne peut faire événement comme un titre de Ueda. On pense fortement, on espère même, à un pendant dilué d’Ico, mais on est loin du compte. La faute évidente à une jouabilité très rigide et des phases d’action trop linéaires. Plus pernicieux, c’est davantage le discours sursignifiant qui dérange. A disserter de l’invisible, Rainen oublie l’humilité de l’indicible. Très verbeuse, la narration ne cesse de plaquer des phylactères descriptifs sur le décor, signe d’un jeu qui se sait un peu trop réflexif. Dommage, tant Acquire frôle du doigt une thématique amoureuse plus complexe que sa naïveté poétique laisse croire. En multipliant les occasions manquées d’un couple incapable de s’unir, le scénario laisse deviner le parallèle d’une coopération difficile entre soi et l’IA. Dans un jeu vidéo, le fantôme incarne parfois le dédoublement de sa propre jouabilité, pour en faire une concurrence (le fameux ghost dans les jeux de course). Ici il incarne la projection d’une association de soi à la machine, association parfois chaotique, vécue comme un véritable ascenseur émotionnel. Dans une très belle conclusion, où le décor est réduit à un immense labyrinthe figuratif digne d’Eischer, le jeu radicalise même son propos en donnant à son expérience du chat et de la souris une conséquence aussi romantique que tragique. La maxime « Suis-moi je te fuis / Fuis-moi, je te suis » n’aura pas trouvé de porte-parole aussi délicat. Dommage qu’il soit un peu tard.