Le dernier niveau de Psychonauts vous accueille avec le sourire navré du dentiste qui ne fait que son travail. Sachez-le : vous serez seul. Vous aurez mal. Ca vous paraîtra très long. Mais n’abandonnez pas. Quoiqu’il arrive, n’abandonnez pas. Terminez le jeu, laissez passer le générique et reposez la manette. Vous venez de traverser quelque chose d’intéressant. Ce dernier niveau, on le rêvait bouquet final et on avait tout faux. Il est au bout du compte la seule anomalie, le seul véritable faux pas de Psychonauts, un chapiteau bâti sur les clichés du jeu de plate-forme. Avec son parcours d’obstacles réglé au millimètre, sa poignée de monstres crétins à dégommer et son boss qui a tout d’une formalité une fois son point faible découvert, cette conclusion frôle l’inutile. Mais ça n’a rien d’étonnant. Sur le terrain de la plate-forme pure, Psychonauts est un élève discret et peu inspiré, de ces garçons polis et transparents qui traversent une année sans heurt ni fracas. C’est bien simple, durant dix heures, douze tout au plus, vous n’avez rien fait. Pas un saut, pas un coup de poing vraiment intéressant. Qu’on pousse des leviers, saute sur des ennemis ou glisse sur des rails, le feed-back du titre est complètement Chamallow. Oubliez la vitesse de Sonic, la voltige de NiGHTS ou les rebonds jouissifs de Mario sunshine : Psychonauts est un jeu de plates-formes bande-mou.
Psychonauts est également un jeu d’aventure à l’inventivité constante dirigé de main de maître par Tim Schafer, tête pensante de Double Fine et ancienne gloire de LucasArts. Malgré quelques faiblesses, Psychonauts survit brillamment, comme un cousin distant de Sam & Max qu’on aurait customisé pour accueillir un moteur de jeu de plates-formes. Pas fou, Schafer et son équipe jouent les hussards et se gardent bien de venir chatouiller Miyamoto sur son propre terrain, une tactique qui rappelle un peu Conker’s bad fur day de Rare. Mais les deux jeux ne poursuivent pas tout à fait les mêmes objectifs. Conker était une parodie grinçante et régressive du jeu de plates-formes, un jeu de massacre ou Rare, pulvérisé à la Valstar, pissait sur le tapis et foutait le feu aux meubles. Psychonauts est plus ambitieux et cède rarement aux sirènes du pastiche, à l’exception notable d’un excellent remake de Godzilla. Pour le reste, l’histoire débute comme un script de cartoon Nickelodeon. Razputin, un pré-ado fugueur, quitte le cirque familial et rejoint un camp de vacances pour gamins doués de pouvoirs psychique. Tout au long de l’aventure, le camp fera office de hub sympatoche, un point de passage obligé pour rejoindre le prochain niveau, là où Psychonauts dévoile l’étendue de ses ambitions.
Les mondes de glace, de feu ou les petites variations égyptiennes, Schafer et son équipe n’en ont pas grand-chose à faire et chaque niveau est l’occasion d’une plongée dans l’esprit d’un résident du camp. On saluera au passage le boulot titanesque abattu par les graphistes de Double Fine, à commencer par l’incroyable barrio sous absinthe du peintre espagnol et ses effets de halo saisissants. En plus d’être audacieux, ce choix est très malin : la découverte d’un paysage mental instaure une certaine intimité entre le joueur et le personnage, et certains d’entre eux, à commencer par le laitier, font déjà l’objet d’un culte fiévreux. Tout à son émerveillement, le joueur n’aura peut-être pas le temps de s’attarder sur l’audace conceptuelle de certaines pièces. Citons simplement le cerveau de la tragédienne, où la totalité du niveau tient à une simple scène dont le joueur modifie les décors pour faire progresser l’histoire. Rien n’est jamais gratuit dans ces jeux de trompe l’oeil : Psychonauts accorde level-design et propos de fond et offre une vision très aboutie du niveau comme procédé métaphorique. Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’esprit torturé du laitier, où la paranoïa se déploie dans d’incroyables jeux de vertiges : principe de répétition angoissant (multiplication d’un lieu filmé à chaque fois sous le même angle de caméra), distorsion spatiale pour symboliser la perte de repères et omniprésence des appareils de surveillance, cachés derrière le moindre buisson. A quoi servirait de pester contre un gameplay parresseux ? La plate-forme de Psychonauts maintient un standard suffisamment élevé pour ne pas rompre le charme. On ne lui demande rien de plus, elle sait se faire discrète. Elle vit doucement et s’efface volontiers pour laisser la place à l’aventure, l’aventure flamboyante qui fait battre le coeur du jeu et contamine ses niveaux. Pareil au bébé mascotte de son développeur, Psychonauts est un jeu bicéphale. Il titube un peu et ses jambes ont encore du mal à suivre les impulsions de cerveaux contradictoires, mais pour un premier pas, c’est un pas de géant.