Un gentleman détective reçoit une lettre intrigante lui demandant de percer les secrets d’un lieu maudit et rempli d’énigmes. Depuis Professeur Layton et l’étrange village, la série de Level 5 trace toujours ce même canevas, généreusement léger et grave à la fois. Générosité de ses casse-têtes, dont la résolution se révèle simplement avec l’élégance d’un raisonnement original ; et générosité d’une intrigue qui mène toujours à une vérité tendre, derrière les subtilités d’une cité qui se déconstruit alors que l’enquête avance. Fantômes (Professeur Layton et la boîte de pandore), peuplées d’automates (L’Etrange village) ou apocalyptiques (L’Appel du spectre, Le Destin perdu), ces villes mystérieuses se suspendent à leur propre perte. Et pourtant, signe d’une vie qui y subsiste malgré tout, c’est encore sur leurs ruines que se tient une révélation finale et douce-amère, comme une belle promesse faite au joueur : la jeune fille orpheline que l’on rencontre à la fin du premier épisode, un amour retrouvé ou perdu, une lettre qui enjoint le professeur à retrouver son fidèle disciple qu’il croyait disparu, etc.
En prenant comme cadre principal une copie de Las Vegas, ville de divertissement bâtie au milieu du désert, Le Masque des miracles figure ainsi la synthèse de ces lieux balayés dans la série, marquant une fausse réalité qui s’effondre sous les yeux du joueur comme seul témoin. Car tandis que soir après soir un magicien masqué y transforme les gens en pierre ou volatilise des foules entières, le monde semble demeurer indifférent. Commerçants, joueurs ruinés, escrocs de bas étage ou touristes, le professeur et ses acolytes rencontrent des êtres perdus mais en définitive sereins à l’annonce d’une apocalypse à la fois imminente et perpétuellement ajournée, distraits par les casinos et autres parcs d’attraction de la ville. A ce titre, cet épisode laisse plus que chez les précédents une impression de ville en papier mâché (renforcée par le relief de la 3DS), d’une profondeur artificielle en adéquation parfaite avec son esthétique bariolée, à la fois bercée d’accords piazzolliens, parcourue de détails kawai et d’influences steam punk, bifurquant à la périphérie de la ville vers la démesure de l’espace américain, tandis qu’en son centre, l’esprit européen du flâneur s’inscrit dans des petites ruelles serpentines, autant de petites esquisses dont la somme forme cette ludocratie aliénante et fourre-tout.
Là où le jeu de Level 5 marque alors une différence avec Vegas, et là où réside sans doute sa beauté finale, c’est que cette superficialité masque autre chose qu’un vide sans fond. Parallèlement à l’enquête, le jeu remonte ainsi dans l’adolescence de Layton accompagné de son meilleur ami dans des phases d’exploration inhabituelles (l’on pense au Goof troop de Shinji Mikami). Petit à petit, passé et présent convergent, et les révélations du premier viennent démêler les noeuds du second, pour bouleverser son espace amnésique et déshumanisé. Au point de rupture, c’est une énigme archéologique du passé qui est résolue au présent et le sauve, mais au-delà encore, ce sont l’amour et la perte d’un être cher qui donnent un sens véritable à l’histoire du jeu. C’est alors la trace d’un simple jouet, souvenir d’enfance et d’amitié qui mène à la conclusion du jeu. Dissimulée là, derrière toutes ces petits casse-têtes, on peut finalement voir scintiller la beauté vertigineuse du monde : en plein coeur des sentiments et de ses énigmes sans réponse.