La vie est une lutte de tous les instants. Y compris, et surtout, lorsqu’on est avocat. Ca, Capcom l’a bien compris : l’éditeur qui, à force de capitaliser au-delà du raisonnable sur le prestige de sa licence fondatrice Street fighter et de ses dérivés (Capcom vs. et consorts), a sans doute fini par s’imprégner, sans forcément le vouloir, de cette philosophie du combat. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que leur « simulation d’avocat », Phoenix wright (Gyakuten saiban, pour les snobs) adopte le langage si singulier du jeu de baston. Oubliez la quête de la vérité, de la justice, de l’équité ; un procès, revu et corrigé par Capcom, ça n’est rien d’autre qu’un affrontement sans merci entre la défense et l’accusation. Au début de chaque contre-interrogatoire, l’écran est violemment déchiré par les visages extrêmement tendus des deux parties, l’avocat et le procureur, façon vs. fight. Une mise en bouche agressive après laquelle on peut enfin commencer à frapper. Pas directement sur l’adversaire, évidemment, ça ferait désordre ; mais sur le témoin, forcément coupable en puissance, au mieux un complice ou un petit sournois qui a quelque chose à cacher. Trouver le combo idéal de coups dévastateurs, où les inévitables « Dragon punch », « Sonic boom » ou « Hadoken » seraient remplacés par les « objection ! », « hold it ! », « take that ! » d’un avocat déchaîné et fermement résolu à trouver la petite faille dans la moindre affirmation, y compris la plus anodine. Sans oublier la pose-qui-tue : le bras tendu et l’index pointé vers le témoin arrogant, image forte ayant quasiment valeur de logotype pour la série. La moindre erreur (pièce à conviction à côté de la plaque, harcèlement injustifié…) et le juge vous enlève un point de vie. Vous les perdez tous et l’accusé est sur le champs déclaré coupable et bon pour la corde.

 

C’est ce qu’on appelle une justice expéditive. Cette relecture un rien brutale du dispositif très cinématographique du procès à l’américaine, ou à la japonaise, permet de revitaliser un gameplay verbeux pour rats de bibliothèque. Quelque part entre le digital comic et le point’n’click, Phoenix wright exploite avec brio le son et l’image (minimalistes, on est sur portable) pour dynamiser une action qui se résume pourtant à une simple suite de dialogues interminables et relativement jargonnants. Montée en puissance de la musique, grands coups de cymbales et visage de plus en plus décomposé du témoin pris la main dans le sac, les procès se transforment rapidement en course effrénée contre la logique narrative parfois un peu fumeuse des concepteurs du jeu. Construites comme un bon vieil épisode de Columbo, les intrigues ne prennent souvent même pas la peine de tenir au secret l’identité du véritable coupable, révélée dès la cinématique d’intro. La tâche du joueur ne consiste au final qu’à reconstruire le puzzle scénaristique, souvent fort bien troussé et tordu comme il faut. C’est ce qui rend Phoenix wright si fascinant et parfois si déroutant, lorsque l’on comprend, enfin, par illumination subite, où le scénario veut nous emmener. Quand la petite mélodie entraînante, annonciatrice d’une victoire proche, commence à cracher ses poumons sur les enceintes mini de la DS. Pas si difficile de jouer les ténors du barreau, il suffit simplement d’être un peu romancier. Malheureusement, en dehors de ses procès coups-de-poing, Phoenix wright propose aussi, à partir de la seconde affaire, plus retorse que la précédente, quelques phases d’enquête au cours desquelles le rookie que nous sommes devra inspecter scrupuleusement les lieux du crime pour y recueillir des indices et interroger divers protagonistes, futurs témoins dérangés, coupables méprisants, indics plus ou moins bienveillants. Bien moins palpitantes, et beaucoup plus convenues, ces phases ramènent Phoenix wright à sa triste condition de jeu d’aventure forcément statique et dirigiste. L’illusion fonctionne moins bien, l’interface, la mise en scène, le gameplay s’inscrivent dans une démarche nettement plus pantouflarde et parfois franchement indigeste. On s’ennuie poliment, mais sans réel déplaisir puisqu’on ne risque cette fois plus grand chose à jouer les grandes gueules. Une étape préparatoire, inévitable, au cours de laquelle on se soumet bon gré mal gré à la fiction toute-puissante. Après tout, c’est elle qui mène la danse.

 

Avec sa coupe « spiky-head » de shônen-hero, Phoenix wright ne ressemble pas vraiment à l’idée qu’on peut se faire d’un avocat. Normal : c’est un warrior qui, dans un jeu plus conventionnel se verrait affublé d’une combi moulante rouge vif ; qui lancerait des boules de feu sur des jeunes demoiselles à grosses cuisses. Derrière le costard-cravate, se cache en fait une tenue de combat. Derrière le jargon juridique, un nouveau style d’arts martiaux. Derrière le jeu d’aventure pour enfants sages, un jeu de baston verbale où l’on risque sa peau. Ou plutôt celle de son client.