On a pu comparer Persona 4 à un « donburi sans fond », tant le jeu réservait de saveurs à qui s’y plongeait. Le donburi est un plat populaire à base de riz, agrémenté de mille et un ingrédients, qui en font un « un véritable fourre-tout culinaire » emblématique de la culture nippone, comme peut l’être le chef-d’oeuvre d’Atlus, hybride de RPG et de dating sim, mélangeant habilement dans un lycée de province le réalisme magique et la fantaisie du quotidien. Pour filer la métaphore culinaire, Persona Q tient plutôt du bento, cette boîte-déjeuner que transportent les Japonais pour se restaurer sur leur lieu de travail. Miniature et mignonne, elle constitue un abrégé de gastronomie, qui vaut autant, si ce n’est plus, pour le plaisir des yeux que pour ses qualités gustatives. Le dernier Atlus est ainsi un adorable concentré, mais ses vertus d’enchantement ne masquent pas tout à fait que l’expérience ludique risque de nous laisser légèrement sur notre faim.
Persona Q est un gaiden, une parenthèse narrative, toute au service du fan. En regroupant les héros des deux derniers volets d’une série dont la popularité semble bien partie pour durer, le jeu ouvre nécessairement une parenthèse narrative, qu’expliquent sans trop de difficultés les aléas du monde des ombres que fréquentent nos lycéens : ils se retrouvent donc plongés dans une perpétuelle fête de l’établissement, et doivent, pour retrouver leur monde, explorer une série de labyrinthes tout droits sortis d’Etrian Odyssey, autre série culte du développeur nippon. On sait que la fusion a toujours été au centre du gameplay des jeux Atlus, qui s’en donne ici à cœur joie. Cette rencontre de deux équipes est le prétexte à une série de scénettes toutes plus kawaii les unes que les autres, qui feront fondre de bonheur les fans, et qui risquent même de convertir les autres pour peu qu’ils en saisissent l’implicite. Elle permet aussi de constater à quel point les deux distributions reprennent les mêmes stéréotypes issus de la culture pop pour adolescents : un personnage principal vide, dans lequel le joueur peut se projeter ; le meilleur copain un rien balourd – respectivement Junpei et Yosuke – ; la soigneuse bonne élève un peu renfermée – Yukari ou Yukiko — ; et ainsi de suite. Ce qui n’empêchait d’ailleurs pas chacun des épisodes d’avoir une saveur inédite, tenant au traitement particulier de ces clichés. Si pour notre part nous préférons de loin la légèreté, capable de prendre au demeurant de beaux accents mélos, des provinciaux de P4, au sérieux un rien figé de leurs prédécesseurs, fidèle à son devoir de fanservice, Persona Q laisse le choix de l’équipe de départ.
Pour charmante qu’elle soit, cette rencontre déconnectée constitue la première limite du jeu. Privé de réels enjeux, l’aventure séduit par sa bonne humeur, mais l’on ne peut s’empêcher de regretter l’aspect dramatique des épisodes majeurs, qui ne donnaient que plus de poids à l’attachement que nous éprouvions pour les personnages. En évoquant les malheurs de l’adolescence, la tentation suicidaire, la solitude, la question du genre, Persona 3 et 4 donnaient une profondeur humaine à leurs personnages. Ceux-ci deviennent dans Persona Q des reflets super déformés et radieux, mais superficiels, ils finissent par tous ressembler à Teddy, la mascotte comique, dont le costume ne contient rien, si ce n’est une illusion. Le jeu évoque certes quelques thèmes de ses prédécesseurs, comme le malaise amoureux à travers un labyrinthe sur le thème du café de drague, mais sans aller plus loin que la comédie évanescente. Au reste, il ne s’agit pas de bouder notre plaisir, car cette comédie est plutôt efficace, servie par des animations à se damner. De l’interface aux personnages, tout est vif, en perpétuel mouvement dans Persona Q. Chie, la bagarreuse coupée au bol, saute dans tous les sens. Koromaru, le shiba inu au poil blanc, est plus mignon que jamais. La petite nouvelle, Rei, passe son temps à dévorer à pleines dents tout ce qui lui tombe sous la main. Les petites scénettes qui se jouent sur l’écran de menu valent à elles seules le détour, et il faudrait des heures pour se lasser de leurs merveilleux détails de miniatures animées.
On s’en voudrait presque de le rappeler, mais Persona Q n’est pas qu’un visual novel ; c’est aussi un jeu de donjons, genre dont Atlus est incontestablement le maître japonais. Eu égard à la qualité habituelle des titres du développeur, on se permettra quelques réserves. Certes, la rencontre entre la fusion démoniaque des Megaten / Persona et les labyrinthes dont vous êtes le cartographe à la Etrian Odyssey est plutôt attirante sur le papier. Mais en pratique on ne peut s’empêcher de trouver que le développeur est allé un peu loin dans la miniaturisation, au risque de rester dans un entre-deux chaises qui ne fait qu’effleurer la surface des choses. Pour le dire autrement, en simplifiant le système de fusion démoniaque et en arrondissant les angles de ses donjons, Persona Q n’a pas l’exigence des récents SMT IV ou Etrian Odyssey Untold. Ce n’est pas que le jeu soit particulièrement facile en difficulté normale, mais il nous demande un peu trop de répéter des combats pas toujours palpitants, tout en nous offrant un filet de sécurité suffisant pour qu’on ne se sente jamais réellement en danger. Ainsi les FOEs, ces ennemis surpuissants qui ont fait cauchemarder plus d’un joueur d’Etrian Odyssey sont-ils présents dans une version singulièrement débonnaire.
Jeu bento, donc, adorable casse-croûte, Persona Q a de quoi nourrir les fans d’Atlus et risque même de faire de nouveaux convertis, à défaut de nous combler.