A quoi pouvait bien donc penser l’Homo Erectus en exécutant ses peintures rupestres ? Que voulait-il transmettre ? L’histoire de son exil ? L’expression de sa fierté après une partie de chasse bien arrosée ? L’histoire des différentes menaces qui ont décimé sa tribu ? Des milliers d’années plus tard, en 1980, un game designer insulaire et affamé, Toru Iwatani, contemple sa pizza tout en se plaignant des limitations que lui impose la technologie pour sortir sa machine à sous. Il ne sait pas qu’il est un artiste de la faim sur le point de créer un important symbole.
Comme toutes les icônes au destin universel, on aura de cesse de reproduire Pac Man, même 25 ans plus tard, en oubliant au passage que le complexe de la photocopieuse, c’est de s’éloigner inexorablement de l’original jusqu’à ne plus en reproduire que les défauts. Pour fêter ce quart de siècle, Namco a décidé de casser le moule pour rendre à la boule jaune son éclat d’antan. En faisant un pari aussi présomptueux qu’osé : transformer une auto-célébration iconographique en élément de gameplay. En effet, ici, c’est au joueur de dessiner son héros, de l’orienter par des murs, de lui indiquer les limites de son univers -tout arrive : pour la première fois de sa carrière 2D, Pac Man a peur du vide. Enfin, de tracer les divers items nécessaires à sa progression. C’est un « bigger than Jesus » que nous éructe Namco à travers les 12 niveaux de Pac pix. Qui d’autre pouvait se permettre un tel concept ? Pac Man est tellement connu, sa silhouette à ce point ancrée dans nos inconscients que son gribouillage se révèle enfantin.
Dessiné trop gros, Pac Man se traine lamentablement mais ratisse large et avale tout sur son passage. Dessiné trop petit, Pac Man est un kamikaze, vif, vorace mais incontrôlable et plus suicidaire qu’un lemming. Ses ennemis, les fantômes, ont eux aussi changés. Au fur et à mesure de la progression dans les niveaux, ceux-ci deviennent des puzzles. Il faut les attaquer par derrières, crever leurs bulles protectrices, les manger dans l’ordre, leur poser des bombes, éviter leurs tâches colorées… Le casual gamer est averti : Pac Man a regagné en rigueur old school et impose dans ses derniers niveaux une difficulté effarante. Et ce, malgré un level design irréprochable. Pac pix marque également l’âge de raison. Fini le gobage intempestif de l’enfant terrible du disco. Pac ne consomme plus que des fruits bio. Ne comptez pas pour autant en faire un étendard bobo.
Moderne dans son principe et pourtant primitif dans son déroulement, Pac pix nous rejoue Darwin, l’âge de fer et l’invention de la poudre, sans grande autre ambition que de distraire par à-coups de quelques minutes. Comme toutes les belles réussites sur la console double écran de Nintendo, c’est un concept simple et minimaliste dans lequel s’illustre Pac pix. Trop pour l’occasion ? Il manque peut-être à cet opus anniversaire quelques clins d’oeil à cette longue relation joueur-joué, quelques toasts auto-réfléxifs levés à la postérité et un début d’explication aux peintures rupestres. Il faut se résigner : on ne sait toujours pas ce que symbolisent les fantômes. On se perd encore en conjecture sur le sens du labyrinthe. Et la formule des Pac gums reste aussi bien protégée que celle du Coca Cola. Qu’importe après tout, c’est un anniversaire, pas un enterrement. Et qui d’autre que Pac Man peut se vanter d’être dessiné les yeux fermés et de renaître à 25 ans ?