1999 : l’aventure absurde d’un homme qui a passé plusieurs mois à combattre un processeur Z80 s’achève. Après dix-sept ans à parcourir les couloirs sombres de Pac-man, Billy Mitchell vient enfin de réaliser une partie parfaite. L’entreprise était plus que difficile : elle était inhumaine. Se détournant de la machine terrassée, ce grand barbu du Massachussets laisse échapper une sentence terrible et définitive : « Jamais de ma vie je n’aurai à rejouer à ce satané jeu ». Pourtant, Mitchell ne peut s’en prendre qu’à lui-même : Toru Iwatani et les développeurs de Namco n’avaient pas conçu Pac-man dans une optique de marathon-gaming. Ils ne l’ont même pas programmé pour qu’il puisse avoir une fin. Si Pac-man était, à l’époque, intense et difficile, c’était en raison d’impératifs économiques : une borne d’arcade se devait de punir le joueur tout en lui donnant du plaisir… pour le forcer à remettre une pièce. Bien sûr, le jeu intégrait des éléments de compétition, des mécaniques de scoring rudimentaires avec le fruit bonus et les combos de fantômes. Mais, pour la plupart des gens, tenir plus de trois niveaux était déjà un exploit. Pac-man, c’était avant tout une question de survie. Sa déclinaison, sortie sur Xbox Live Arcade en juin dernier, repose pour sa part sur une philosophie très différente.
Pac-man championship edition propose six variantes du titre original, mais ne vous y trompez pas : comme son nom l’indique, seul le mode « Championnat » est important. Le Pac-man classique était un jeu répétitif, qui ne proposait qu’un seul labyrinthe en raison des limitations techniques de l’époque. Pac-man C.E., quant à lui, abandonne l’idée même de tableau et la remplace par un environnement à l’architecture dynamique que le joueur doit parcourir en temps limité ; au fur et à mesure de sa progression, les couloirs se réorganisent et les pac-gommes avalées réapparaissent sous ses yeux. Les premières parties sont déstabilisantes ; pourtant, rapidement, le joueur apprend à identifier ces configurations qui se succèdent en suivant une séquence immuable, à mémoriser tout ce qui se passe durant ces cinq petites minutes. Apprendre à apprivoiser l’espace pour l’exploiter au maximum, un peu, finalement, comme une épreuve de pilotage, à la recherche de la trajectoire parfaite. Et comme la partie est chronométrée, la notion de survie qui faisait tout le sel du titre original perd sa raison d’être. Les vies supplémentaires sont donc distribuées très généreusement et le joueur n’a plus à craindre la sanction du Game Over : chaque erreur lui fait perdre quelques secondes et le prive d’un bonus de pac-gommes qui augmente tant que Pac-man reste en vie. Résister, c’est l’assurance d’obtenir un score correct. En plus du travail de trajectoires, le joueur devra apprendre à réaliser des combos de fantômes. Hérités de Pac-mania, ils suivent une mécanique très simple : si Pac-man absorbe une seconde super pac-gomme avant que l’effet de la première ne se soit dissipé, il peut continuer à boulotter les fantômes en maintenant son multiplicateur de points au maximum. Au joueur d’utiliser cette tactique à bon escient pour gonfler rapidement son score.
La force de Pac-man C.E. est d’avoir su réorganiser des éléments vieux de vingt-sept ans pour construire un gameplay contemporain. Les fruits, les fantômes, les pac-gommes sont autant de symboles rapportés que viennent bouleverser les nouvelles mécaniques de jeu. Quelques choix de game-design trahissent tout de même leur époque, comme cette accélération imperceptible tout au long de la partie qui emmène le jeu vers une vitesse folle. Durant la dernière minute, l’effet produit immanquablement une sensation de flow, ce moment où la réalité s’efface pour laisser le joueur faire corps avec la machine.
En 2003, Toru Iwatani et Shigeru Miyamoto avaient déjà revisité Pac-man avec Pac-man VS. Une partie de cache-cache joviale, au cours de laquelle le joueur devait échapper à ses camarades ; une belle idée multijoueur qui favorisait l’entraide et la communication orale entre les fantômes pour essayer de coincer leur adversaire. Quatre ans plus tard, Namco enclenche la marche arrière et jette un coup d’oeil dans le rétro. Pac-man C.E. est conçu dans une optique de scoring. On pourrait y voir un principe dépassé, rendu désuet par l’époque comme par la technologie ; or, c’est précisément grâce à la technologie que le jeu fonctionne de manière si efficace. Le Xbox Live Arcade est un tableau de score mondial, sur lequel le joueur peut affronter la planète entière. Il lui suffit d’allumer sa machine pour lancer des défis à sa liste d’amis. En 2007, l’arcade n’est pas morte : elle a simplement muté. Etudier la vidéo d’un bon joueur sur YouTube ou regarder par-dessus son épaule dans un tripot enfumé sont finalement deux facettes d’une même expérience. « Nous sommes tous des Billy Mitchell » : voilà ce que semble nous dire Namco à travers cette réinvention du jeu. A un détail près : là où l’américain s’était engagé dans une lutte absurde en cherchant à jouer contre les intentions de la machine, nous disposons désormais d’un titre dédié exclusivement à la compétition. La limite de temps, les éléments de scoring et la vitesse frénétique du jeu en attestent : Pac-man n’a jamais été aussi accessible, aussi harmonieux, aussi excitant. Fonce, petite boule jaune, le vieux monde est derrière toi !