Pas étonnant que Sega se soit intéressé à Otogi, beat’em-all Shinobi-esque de From Software -studio qui ne s’était jusqu’à présent pas vraiment fait remarquer par une production de très haut niveau-, au point de le récupérer. Dans la lignée des shoots d’avant-garde, Rez et Panzer dragoon, Otogi fait preuve d’un souci artistique rare, mélangeant avec un indéniable talent les mythes et les clichés du Japon féodal avec une esthétique « art nouveau » largement inspirée du travail de l’illustrateur Yoshitaka Amano. Ne serait-ce qu’à travers son héros, Raikoh, un samouraï longiligne, précieux et blafard, portant armure baroque et épées somptueusement ciselées, cousin éloigné du mutique et gracieux Vampire hunter D. Des virevoltants pétales de fleurs de cerisier envahissant l’interface colorée du jeu jusqu’à cette magnifique musique traditionnelle qui enchante les tympans, on comprend, dès qu’on entreprend de naviguer au gré des différents menus du jeu, qu’Otogi dégage une ambiance hors du commun, comme une sorte d’estampe sous acide. Impression renforcée lorsqu’on voit Raikoh gambader avec grâce dans des niveaux d’une beauté étourdissante : une forêt de bambous d’un vert iridescent, un magnifique palais aux dorures aveuglantes, une ville paralysée par l’obscurité, un cimetière marin envahi par les brumes, etc. A grands renforts de filtres, d’effets lumineux, d’une atmosphère privilégiant une légère surexposition, Otogi nous plonge dans un univers rongé par la mort, amorphe mais prodigieusement hypnotique. Comme Panzer dragoon Orta, Otogi est un jeu d’action paradoxalement zen : Raikoh doit en effet purifier quelques dizaines de niveaux relativement courts de démons fluorescents et criards, obéissant aux ordres d’une mystérieuse princesse cachée derrière un paravent au timbre de voix informatique. Le tout dans un grand déluge d’éclairs multicolores et de débris -tout, ou presque, est destructible dans Otogi-, mais avec une certaine quiétude, voire une légère mollesse qui tranche avec l’hystérie de n’importe quel clone de Devil may cry.
Autant le dire franchement, on est séduit. Parce que la beauté d’Otogi est une drogue, forcément hallucinogène, qui nous pousse à aller de l’avant. Parce que From Software a eu la bonne idée d’injecter un peu d’éléments RPG en permettant au joueur de refaire jusqu’à plus soif les niveaux antérieurs, histoire d’améliorer son propre score et surtout de glaner quelques points d’expérience et des pièces d’or sonnantes et trébuchantes supplémentaires. On est séduit mais on reste lucide. From Software a beau avoir été adoubé par Sega, il n’est pas totalement parvenu à harmoniser le fond et la forme. Contrairement à P.N.Ø3 qui assumait son gameplay cheap à travers une réalisation volontairement basique, Otogi cache un peu sa misère vidéoludique derrière un emballage first-class. Les différentes missions proposées sont de qualité inégale, certaines manquent de clarté, d’autres sont un tantinet agaçantes, et la caméra et le système de ciblage manquent de punch, ce qui peut devenir problématique lorsqu’on a affaire à un boss réticent. Rien de véritablement rédhibitoire, mais qu’un jeu aussi classieux loupe de si peu la place de beat’em-all ultime sur Xbox a quelque chose de terriblement rageant.