Peut-on apprécier Otogi 2 sans avoir vu un seul film de Tsui Hark, d’Andy Lau ou de Stephen Chow ?Les connaisseurs qui se gavent de fan-sub en haut débit répondront que le cinéma hongkongais ne se résume pas à ça. Certes. Pourtant, si Otogi 2 a une chance de plaire, c’est bien à ce public-là. Allons plus loin : Otogi 2 n’a été conçu que pour ce public-là. Qui d’autre ? Qui peut supporter la langueur de ce beat’em-all zen et bigarré ? Qui a la rétine suffisamment éduquée pour tolérer ces explosions de formes et de couleurs à côté desquelles le monde réel ressemble à une rétrospective de Murnau ? Et qui sont ces X-Men de l’improbable aux patronymes imprononçables et qui pratiquent le suicide de masse ? On vous épargne l’aspect RPG imbitable à base d’objets d’usage quotidien (le peigne qui renforce le KI de 10%, le bol laqué qui fait sauter plus haut…) et tout un salmigondis de règles qui ne fera sourire que les maîtres de l’abstraction taoïste. What the fuck ?!
Avant que les extrémistes bobos férus d’exotisme ne rajoutent Otogi 2 sur leur liste de must-have, on se doit de leur préciser ce détail : le nouveau beat’em-all de Sega est impénétrable. « A toi qui cherche la connaissance et le savoir. La sagesse et la compréhension. De comprendre, abandonne ici tout espoir ». On en aurait bien fait un sticker pour jeu console en manque de sponsor, tant Otogi 2 doit se sentir seul. Pourtant, si l’on fait abstraction de son cadre mystico-hérmétique, le jeu se surprend parfois à un babillage rien moins qu’universel. Plaisir de détruire, joie du hachoir, faire tournoyer la lame dans le flan d’une dizaine de goules, les voir s’éparpiller « façon puzzle » avant d’asséner le coup de grâce qui, au coeur d’une grotte-temple ou au sein d’une clairière, verra leurs abattis exploser dans un fulgurant déluge d’infrabasses et de couleurs. Le saut suspendu comme la course poursuite en câble du cinéma de Hong Kong tient, dans Otogi, une place primordiale. En fait de saut, on devrait plutôt parler de décollage au cours duquel, une fois maîtrisé, on ne retouche le sol qu’à l’occasion d’une super-attaque. Dans ces moments-là, Otogi 2 le beat’em-all rugueux, cède la place à un ballet puissant et insensé digne des plus belles Histoires de fantômes chinois… malgré un système de caméra défoncée à l’héroïne blanche du triangle d’or, qui peine à saisir toute la fureur mythologique du geste divin. La pitié fait pitié, soit.
Otogi 2 est un jeu purement contemplatif où même les bravades les plus bestiales prennent une dimension éthérée. Pourrait-il en être autrement ? Dépossédé des enjeux réels du scénario mais tout entier acquis à la sensualité aérienne et tranchante de son avatar, seul le joueur sensible à la culture HK vidéo remplira son KI.