Une anecdote amusante à la base du nouveau jeu de Grasshopper : présenté il y a deux ans, No more heroes portait un autre titre. Au départ baptisé « Heroes« , son personnage principal était décrit physiquement comme un mélange de Johnny Knoxville et David Bowie. Entre temps, la série américaine Heroes est devenue un succès mondial et Grasshopper a préféré changer le nom de son dernier jeu. Quand on demande aujourd’hui à Suda51, son créateur, pour quelles raison il a choisi ce titre, il répond instantanément « le morceau de Stranglers« . Heroes / David Bowie ; No more heroes / The Stranglers. Vous voyez où je veux en venir ? No more heroes représente les deux faces opposées d’un même genre ludique infusé par la culture Rock. Le romantisme épique de Heroes et le nihilisme du titre des Stranglers. Mieux : il n’est question que de cela dans No more heroes. Le trivial se confond avec le mythe. Le pathétique habite le sublime. Les colosses de Fumito Ueda en exil sans carte de séjour sur la map de GTA : San Andreas. Héros et Zéros à l’infini.
Travis Touchdown est un sympathique loser fan d’animationjaponaise et de lucha libre (catch professionnel). Sa vie change radicalement lorsqu’une mystérieuse salope (si, si) l’entraîne, malgré lui, dans un concours de tueurs avec classement. Ayant assassiné le onzième tueur, Travis Touchdown n’a plus d’autre choix que de monter dans la hiérarchie et de devenir numéro 1. Ainsi commence son ordalie sanglante. Equipé d’un sabre laser acquis sur un site d’enchères (apprend-on dans le manuel), Travis / le joueur pourfend toute sorte d’ennemis dans un beat’em-all 3D assez classique sur le fond. Un bouton d’attaque, un bouton de garde, un bouton de choppe, quelques prises de catch et des finishing moves en slow motion. Dans la base de son gameplay, No more heroes fait finalement bien peu de choses mais le duel au sabre laser auquel se livre le joueur pendant près de 15 heures à de quoi faire frémir George Lucas lui-même. La maniabilité à la Wiimote du beam katana repose principalement sur ce bon vieux fantasme de nerd et aboutit à l’une des propositions de jeu les plus agressives et défoulantes de la console de Nintendo. Le coup de génie de Grasshopper, c’est d’avoir abandonné l’idée d’une reproduction mimétique des coups d’épée à la Wiimote. Le résultat -les joueur de Red steel s’en souviennent- aurait été épuisant et peu précis. Dans No more heroes, les coups se donnent d’une simple pression du bouton A et seuls les finishing moves utilisent les capteurs de mouvement de la Wiimote. Comme un ballet barbare à la fureur miraculeusement renouvelée, combattre des centaines d’ennemis s’avère forcément répétitif, mais rarement lassant. L’intensité des combats est assurément la carte maîtresse de No more heroes. Un exercice divin contrebalancé par les contingences harassantes du quotidien de Travis. Tandis que dans un open world classique le joueur collectionne les mini-missions pour respirer entre les différentes étapes du scénario, dans No more heroes, il est obligé de payer son inscription pour affronter chaque boss. En clair, entre deux combats à mort épiques et déchirants, Travis devra passer par l’ANPE locale et briguer les postes de tondeur de pelouse, pompiste ou ramasseur de détritus. Au regard du genre sandbox, c’est une perversion complète des valeurs. A hauteur de joueur, c’est une humiliation (tout sauf gratuite) pas si éloignée, dans la forme, du déplacement sur rail de Killer7. Bien sûr, Travis peut également, dans un deuxième temps, faire des jobs d’assassin mais ceux-ci, vite expédiés, ne laissent pas de souvenirs impérissables.
Non, décidemment, à l’instar de Killer7, No more heroes se tourne tout entier vers le boss fight. Au contraire du précédent brûlot de Grasshopper, ici, détachés de toute justification scénaristique superflue, les boss se rencontrent à la dernière minute. Un nomet une silhouette bichromes, tout au plus, pour prévenir le joueur à l’entrée du donjon de ce qui l’attend. Le procédé pourrait sembler expéditif, voire carrément frustrant sans le soin immense apporté à l’écriture de ces géants aux pieds d’argiles. Suda 51 et ses dialogistes portent très haut l’art de donner en trois minutes (montre en main) de l’épaisseur et un vécu à ces parfaits inconnus qui partagent avec Travis la même image duelle. Du cowboy usé à l’acteur hollywoodien sous stéroïdes ; de la ganguro obsédée par les samouraïs au hard rocker allemand. A la fois classes et ridicules, cruels et touchants, sublimes et pathétiques. A ce niveau, les journalistes ont trop rapidement fait le parallèle avec Kill Bill. Il est heureusement complètement injustifié : aux antipodes du film de Tarantino, No more heroes ne méprise jamais ses personnages par la parodie ou le second degré. No more heroes emploie une sorte de troisième voix, similaire à celle utilisée par Takeshi Miike dans Zebraman. Un chemin étroit entre compassion et admiration qui fait de chaque protagoniste de No more heroes un beautiful freak. Ce n’est pas seulement une idée de casting mais une vision du monde que l’on peut interpréter ainsi : la princesse « à sauver » est une garce castratrice, inhumaine et vénale qui promet ses faveurs sexuelles au héros s’il parvient à finir le jeu. Le joueur est condamné à une vie de petits boulots minables pour pouvoir se payer quelques minutes de gloire. Tous les efforts mènent à un duel à mort contre un opposant dont vous ignorez tout hormis son humanité et sa beauté crépusculaire. Si Killer7 faisait office de deuxième office funéraire pour le survival horror, No more heroes est une sorte d’ode malade au sandbox game. Plus accessible et concentré que l’épopée du clan Smith, No more heroes n’en constitue pas moins une nouvelle réflexion puissante sur les codes du jeu vidéo. Mais plutôt que d’opter pour un pensum brumeux, Grasshopper, en bons frères Ramone du jeu vidéo, préfère mettre en avant l’érotisme d’un bon pogo. La faute à une fin forcément riche en Omagad et WhatTheFuck, le joueur se réveillera couvert de bleus et groggy. Une fois requinqué, il imitera son pote Travis. Entre une séance de shopping et une tonte de gazon, il fera valoir son droit à produire du mythe.