Le jeu vidéo, notre beau souci. Parfois certains softs vous remettent en question. Soudainement, on se demande pourquoi on joue. Prenez Ninja blade, avatar de Ninja gaiden avec des QTE à la God of war et des cinématiques façon Devil may cry. Après un niveau à combattre une invasion des bestioles visqueuses ayant pris résidence à Tokyo, une envie sincère de poser le pad. De dire stop, c’est bon, merci, j’ai compris. Par acquis de conscience, ou curiosité perverse, à moins que cela ne soit par masochisme, évidemment on continue. Et la suite n’a pas trahi notre première impression. On aurait pu poser le pad et aller boire un verre, pas sûr d’avoir raté quelque chose. Une cinématique abusée, des QTE par centaines, une zone à ratisser, un boss, puis un autre, encore des QTE, une séquence de shoot à la tourelle, ad nauseam. Mais on continue quand même, deuxième, troisième, quatrième niveau, encore des QTE, toujours plus de cinématiques abusées, tellement qu’on est incapable de les décrire. A côté Devil may cry c’est du Ozu. Parce que bon, c’est vrai qu’on aime bien les Ninjas, depuis notre enfance à lancer des shurikens sur les arbres dans la cour d’école, les navets avec Michael Dudikoff, plus tard Shinobi, ils nous ont fait rêver. Un jeu aussi spectaculaire et grandiloquent que Ninja blade, en théorie, il devrait donc réveiller en nous un plaisir coupable. Celui de la série Z débridée, un peu façon Ryuhei Kitamura (Versus). Mais parce qu’on en a peut-être un peu marre, aussi, de cette connivence bis régressive, Ninja Blade et ses monstres échappés de Teito monogatari (les phallus en moins) ne provoquent qu’un vague sentiment d’ennui, ou de saturation.
Il y a des jeux qui jouent avec vos nerfs. Pour leur difficulté ou des problèmes technique, un gameplay mal pensé. Ninja blade n’est pas vraiment de ceux-là. La difficulté n’est certes pas très bien équilibrée, parfois le jeu rame, mais dans l’ensemble ça se joue. Le centième QTE avec rewind en cas d’erreur risque d’avoir vite raison de la patience de tout être normalement constitué, mais soit, pourquoi pas. C’est une manière comme une autre de prendre part aux cinématiques. Faire croire qu’on participe lorsque notre bon vieux Ninja grimpe sur un building avec sa grosse cylindrée – pour ensuite faire des cabrioles impossibles afin d’éliminer un boss, à coup de QTE. Si Ninja blade est usant, énervant, pour ne pas dire gonflant malgré ses jolis combos acrobatiques, c’est parce que tout chez lui transpire la pose, sans que rarement on en soit à l’origine. Avancer de QTE en QTE, de boss en boss, de zone en zone, dans un Tokyo au level design répétitif, en se contentant d’appuyer grossièrement sur quelques boutons, en dépit de la variété des commandes, demande une certaine forme d’abnégation. Ou de tolérance. Et il y a un moment où les limites sont atteintes. Pour croire, et donc jouer à Ninja blade, il faut accepter le deal de départ : beaucoup de bling bling, et trop peu de gameplay. Ou mal utilisé. Dans un jeu misant sur la beauté du geste, le style, il y a fatalement une contradiction à la base. N’être qu’à moitié l’acteur du spectacle, c’est frustrant. On se sent comme à l’étroit, téléguidé. Miser sur un tel appauvrissement du jeu pour être soumis à une seule logique de l’effet, de la mise en scène, invite à se demander, effectivement, pourquoi on joue.
Ninja blade n’apporte pas de réponse à cette grave question existentielle. C’est un matraquage, il ne laisse pas le temps de réfléchir. Tout chez lui se veut outrancier, décomplexé, pas du genre à faire dans la finesse. Derrière son masque, le personnage n’a aucun charisme, d’ailleurs ce n’était peut-être même pas son but, c’est un costume, entièrement customisable – pour le meilleur et pour le pire, as usual. Quant au scénario, il ne s’embarrasse d’aucune exigence, du nanar, du vrai, tellement qu’on en vient vite à zapper les cinématiques non jouables. Un jeu qui tâche donc, gras, très complaisant, sans avoir peur d’en faire des tonnes puisque c’est le principe, son paradigme. Devant un bidule aussi décérébré, en total accord avec lui-même, sa propre aberration, on ne peut pourtant s’empêcher de ressentir une certaine lassitude. Peut-être aussi des regrets (d’une époque où le joueur était au centre, où on lui faisait confiance). Car cette orgie était-elle nécessaire ? Est-ce que tout ce spectacle à renfort de ralentis matrixiens n’est-il pas franchement désuet, finalement ? A quoi bon ce Ninja blade ? De Gaiden ou DMC il n’a gardé que le vernis. Telle une version pour les nuls ne demandant pratiquement aucune discipline. Pas besoin de le maîtriser pour en voir la fin. Et inutile d’y revenir pour découvrir ses secrets cachés, malgré les bonus éparpillés. Très putassier, Ninja blade offre ses services avec une vraie-fausse générosité. Visant une communauté de geeks autoproclamée et bizarrement peu exigeante, il n’a pas grand-chose à proposer. Chez lui tout n’est qu’apparence, vulgarité, petites ambitions camouflées derrière une tonne de clinquant pour donner le change. Un jeu petit joueur, pas foncièrement malhonnête, mais qu’on parcourt sans conviction et distant. Ninja blade a quelque chose d’un rêve réalisé tournant au cauchemar.