Il y a, depuis longtemps, comme une histoire d’amour/haine qui nous unit à Metroid prime. De previews mitigées en agacements répétés face au statut culte, quasi sacré du titre, de l’indéniable émerveillement face à l’incroyable pouvoir de suggestion des décors aux interrogations légitimes concernant un gameplay parfois discutable. On ne savait plus trop, in fine, s’il fallait aduler le jeu de Retro Studios aveuglément ou s’il fallait s’en méfier, alerté par les sirènes du trop-plein de hype. Mais c’est finalement une bonne chose. Ces hésitations toutes naturelles lorsqu’on s’autorise un minimum de scepticisme confirment que Metroid prime est effectivement un jeu pas comme les autres, qui se situe de lui-même hors du champ critique conventionnel. Impossible d’y toucher, d’oser faire la fine bouche. Licence mythique, éditeur mythique, de quoi chatouiller notre fibre iconoclaste.
Comment ne pas avouer, avec honte, qu’on aurait aimé déboulonner l’idole, fouiner traîtreusement dans les arcanes du gameplay pour y dénicher la moindre faille. Il y en a, ça ne fait aucun doute, certaines pouvant même refroidir les habitués des jeux de tir en vue subjective construits sur l’immuable modèle FPS/PC. Mais comment pourrait-on reprocher à Metroid prime de se planter ? Il réinvente tout ! Il réinvente le FPS en supprimant plus ou moins la gestion dichotomique des commandes, remplacée par un auto-ciblage qui fera hurler les puristes. Il réinvente le jeu de plates-formes en lui imposant une vision à la première personne -houleuse sur le papier- mais en conservant ses récurrences esthétiques -monde de feu, de glace, bucolico-SF. Plus fort, il réinvente la narration dans les jeux vidéo, en réduisant au strict minimum les cut-scenes : désormais, on avance dans la compréhension de l’intrigue en « scannant » divers terminaux ou runes antiques ; le scénario devient forcément secondaire mais il s’intègre directement au gameplay. Et puis, surtout, Metroid prime réinvente Metroid (la série). Parce que même passé à la moulinette FPS, Metroid reste Metroid, qu’on puisse déguster des yeux à loisir son emblématique héroïne Samus Aran, ou pas. Une fidélité au mythe voulue par Retro Studios, indispensable lorsqu’on décide, avec autant audace, de bousculer ce qui faisait la substantifique moelle vidéoludique de la série. On retrouve donc ces niveaux gigantesques et labyrinthiques, cette difficulté serrée -accrue par des points de sauvegarde peut-être un peu trop éloignées et des boss plus coriaces qu’à l’accoutumée. Il y a aussi, plus contestable, ces allers-retours perpétuels, et probablement rédhibitoires pour certains joueurs, motivés par l’aspect « kit » de Samus, qui gagne, au fur et à mesure, de nouvelles aptitudes et la possibilité d’atteindre de nouveaux recoins de chaque salle pour y découvrir de nombreux trésors secrets. Et puis il y a cette sensation d’isolement, paradoxalement enivrante, ce sentiment à la fois poignant et effrayant d’être perdu dans un univers vaste mais déclinant, sans allié, sans créatures avec lesquelles on pourrait communiquer. La planète sur laquelle s’écrase Samus pour stopper les velléités belliqueuses des Pirates de l’espace a beau être magnifique, c’est un Paradis qui couve un Enfer de claustrophobie à ciel semi-ouvert. Au-delà de ces vains débats sur sa véritable nature -FPS or not FPS ?-, sur la pertinence de ses innovations, c’est vraiment cet isolement immersif et déprimant, parfois troublé par d’intenses remontées d’adrénaline, qui caractérise Metroid prime : un « grand tout » vidéoludique qui nous plonge avec délice dans un « grand rien » vertigineux de solitude…