Ils sont quelques-uns dans le petit monde vidéoludique à se gargariser -souvent à raison- des concepts inédits qui sortent des circonvolutions fumantes de leur cerveau azimuté. On citera en référence l’immense Peter Molyneux, légende vivante et créateur de mondes. L’un des premiers, probablement, à avoir compris que le jeu se devait de forger ses propres références plutôt que de piller littérature, bande dessinée et cinéma de genre. Résultat : un enchaînement de perles ludiques caractérisées par un sens de l’innovation déstabilisant et un esprit frondeur de bon aloi. Les plus anciens se souviennent évidemment des honorables cartons que furent Populous, Syndicate, Dungeon keeper, Magic carpet… Leur point commun : ne ressembler à rien d’autre qu’à eux-mêmes. La référence sort ici de l’univers du plagiat pour entrer sans honte dans celui de l’hommage. Bien. Mais pourquoi s’étendre sur Peter Molyneux lorsque l’on doit chroniquer Messiah ? Un peu de patience, je ne vous ai pas interrompu alors ne m’interrompez pas, s’il vous plaît.
David Perry, grand manitou de Shiny, a bien retenu la leçon. On le suit lorsqu’il fait imploser le jeu d’action à grands coups de MDK. Et voilà l’univers de Carmack (Doom et Quake, n’est-ce pas…) revisité façon Tex Avery. Un bol d’air frais et une grande claque au premier degré bas du front (« aliens = vilains pas beaux donc boum dans tête à eux »). Et Perry prend soudain des airs de Molyneux. David au pays des PC se sent comme un gamin doté de l’American Express de Richard Branson dans un Toys’R’Us. On loue dans les dîners en ville son prodigieux talent et son âme visionnaire quoique déconnante (ou l’inverse). Bientôt le petit génie nous annonce Messiah. On salive d’avance. Le principe a de quoi envoûter : Bob, un angelot bien sous tous rapports n’en finit plus de posséder les âmes des pauvres bougres qu’il croise. Ô joie… On voit venir d’ici les saillies d’humour tordu et la moralité frondeuse de la chose : le Bien, pour triompher du Mal, doit faire dans la perversion et le cynisme. Chic. Car voici que le manichéisme qui compose notre ordinaire vole en éclats.
Logiquement attendu au tournant après une campagne de teasing étalée sur deux longues années, Messiah était annoncé comme une bombe ludique. Le genre révolutionnaire, voyez-vous. Et l’on espérait le jeu mythique, à peine sorti et déjà classique. Et l’on fantasmait sur ce concentré de mauvais esprit. Pensez, un chérubin doté de porte-jarretelles et bas résille, ça nous change de Mario le sympathique quoique demeuré plombier sauveur de mondes. On les voyait déjà, les sourires extatiques sur la face lunaire de tous les déviants accro au politiquement incorrect de qualité. Las, las, las. La bombe ludique annoncée fait figure de pétard mouillé. Le problème du teasing, c’est que, grands naïfs que nous sommes, nous finissons par y croire. Et lorsque Shiny nous susurre la houelbecquienne possibilité pratique du bonheur ludique, on mourrait pour qu’elle existe enfin. Petite mort en attendant la vraie.
Ne nous y trompons pas, Messiah n’est rien d’autre qu’un tomb raider-like de très bonne facture. On songe au dévastateur Lobo, superbe antihéros créé par le très génial Alan Grant. On rit beaucoup durant les premières heures. Puis vient la lassitude. Oui, les décors sont somptueux, oui, la bande-son accroche, oui le design général évoque le meilleur des comics US, oui, le background est fouillé, oui le « Real time deformation and tesselation » coupe la chique. Mais un tomb raider-like reste un tomb raider-like (cette tautologie vous était offerte par Eidos…), rien de plus. Alors pourquoi s’enflammer, puisque, après tout, le concept ne renouvelle en rien le jeu d’action / plate-forme / aventure, toujours aussi chiant par essence ? Déception : avec Messiah, Shiny réinvente la brouette. De quoi se dire que décidément, le petit monde des jeux vidéo n’en finit plus de faire du surplace. Consolons-nous : tout ça vaut mieux qu’un Tomb raider 5. Non ? Spasme d’inquiétude, j’en vois déjà qui réfutent…