Dans les grands jeux se rencontrent parfois le destin d’un titre et de son héros. A première vue, Mafia II est prisonnier de son genre d’appellation contrôlée, le GTA like (un monde ouvert, des trajets en voiture pour relier des missions, la reconstitution d’une époque et d’une ville) comme Vito Scaletta, son protagoniste, de son milieu mafieux. Ni l’un ni l’autre ne s’en plaignent du reste. Vito rejoint la mafia parce que « travailler c’est trop dur », tout comme le premier Mafia surfait sur la vague du succès engendré par GTA III. Après une poignée de chapitres sympathiques mais franchement oubliables car lorgnant trop du côté des aventures de Nico Bellic (GTA IV) sans en pourvoir la dimension immersive, le titre de 2K Czech amorce un grand virage. A la faveur d’un passage en prison, pertinemment coercitif et glacial (probablement l’une des plus belles séquences de taule de toute l’histoire du jeu vidéo, pas moins), Mafia II éclaircit sa proposition de jeu et se débarrasse de son pedigree Rockstaresque.
Pas de missions annexes, très peu d’à côtés (acheter des fringues, remplir son garage de voitures volées, trouver des magazines Playboy) et un fil narratif dirigiste ne laissant au joueur que très peu de répit. Ce parti pris radical mais malin fait au final d’Empire Bay (une vision de New York située dans les années 40 et 50) un open world vivant, long à parcourir et à l’ambiance particulièrement réussie. Et ce justement en n’invitant surtout pas le joueur à sa libre contemplation mais en le baladant de missions en missions. D’ailleurs, deuxième point remarquable, la qualité de scénarisation, de rythme et de mises en scène de chaque mission dépassent de loin celles de GTA IV. Pas d’ersatz de Marlon Brandon à l’accent mi rital mi cancéreux, ni de Tony Soprano vociférant des injures racistes. Mafia II slalome avec grâce entre les clichés pour raconter une histoire simple, celles d’une bande d’italo américain, versant dans des affaires louches, aimant boire, aller aux putes et répondant aux ordres d’une hiérarchie.
Une histoire dans laquelle, Vito assume pleinement son rôle de simple pion sur un échiquier trop grand pour lui. Loin de plomber le scénario, cette résignation, cette conscience de son rang et les lourdes conséquences morales qu’elles impliquent (pas de place pour un « tuer ou laisser vivre » à l’adresse du joueur comme dans GTA IV) rejoignent superbement l’ambition narrative et cinématographique (premières devant l’usage tristement répandu de divertir le joueur à l’aide d’occupations gadgets dans ce genre de production) de 2K Czech.
Mafia II s’ouvre sur une façade, une couverture, s’appuyant sur le genre initié par Rockstar Games, et en en récupérant les mêmes arguments de vente mais livre rapidement sa véritable et courageuse anti-thèse. Et à l’heure où l’on croyait les jeux à mondes ouverts condamnés à la surenchère d’à-côtés disruptifs et de ballades contemplatives oiseuses, le titre de 2K Czech réaffirme la puissance du récit et – dans un performatif brillant mêlant la soumission du personnage à celle de sa proposition de jeu – cet axiome simple : ce n’est pas le degré de liberté laissé au joueur qui fait un bon titre mais la fécondité des moments où on lui force la main.