Le jeu vidéo a trouvé avec Suda 51 son médiateur identitaire et le révélateur de la fin du monde. Cette figure ne pouvait s’incarner que dans la rencontre japonaise entre les résidus du post punk et l’effigie de l’otaku. A la croisée du dernier héros musical plus soucieux du réel que d’un savoir dont il serait le curateur, et celui qui n’est plus que la masse absolue d’une encyclopédie ne vivant que pour la collection en se peuplant d’un imaginaire sans enjeux. Killer7, No more heroes, Shadow of the damned, tous ses jeux aux titres décadents et symptomatiques entretiennent ce tracé situant Lollipop chainsaw comme la continuité d’un processus final. La mise à mort perpétuelle d’une pop culture dont le postmodernisme est désormais lui aussi recyclé sans fin dans l’ironie d’une série Z non plus assumée que dépassée en son milieu. Entre clins d’oeil complaisants et pastiches americano (dé-)centrés, Lollipop chainsaw a tout d’un cartoon hystérique, d’une variante zombie et bimbo des Simpson’s, avec sa famille découpant du mort vivant dans la bonne humeur, le style et le score. D’un grand jeu symbolique qui serait le révélateur de son temps, voire d’une certaine maladie propre à son médium lui aussi sans boussole.
Teen movie revisité façon beat’em-all à la tronçonneuse, le nouveau Suda 51 est un festival de détournements moqueurs et amoureux (punk, métalleux, hippie, funkadelic, lycéens US, bouseux du Midwest), emmenés ou découpés par une cheerleader plus blonde que toutes les actrices de sites pornos spécialisés barely legal. Moins Buffy délurée qu’Anna Faris dans Superblonde, la pom-pom-girl enchaîne combos sympathiques et variantes molles de gameplay avec un naturel désarmant, cet air charmant et évident qu’ont parfois les bunny Playboy de résister à la nullité du monde comme s’il se réfléchissait sur elles. Cette façon de bouger et d’être qu’ont parfois les pornstars, anges des écrans solitaires. La tête de son boyfriend accroché à la ceinture (pour le sauver d’un destin zombie) en guise de sidekick rigolo, Juliet passe ainsi de niveau en niveau pour atomiser le Marylin Manson du lycée qui, jaloux et rancunier des brimades, veut en finir avec le monde. Dans l’esprit anar et néo crépusculaire de Suda 51, il ne pouvait finir que transformé en croisement mutant d’Elvis et Godzilla, boss géant et incarnation symbolique d’un rock finissant. Les limites du jeu importent assez peu avec Lollipop chainsaw. Pour le gameplay, Bayonetta garde son trône. Pour le reste, Suda 51 enfonce la concurrence.
Comme jeu crépusculaire bigarré, Lollipop chainsaw s’impose en nouvelle référence d’une odyssée post pop résumant à la fois les rapports maitre/élève sur lesquels s’est fondé le Japon d’après guerre (qui copie tout jusqu’à atteindre l’excellence et dépasser en savoir faire l’occident). Et la mort du rock, zombifié, bon à servir les pixels froids du jeu vidéo, réchauffé par le corps digital d’une héroïne tranchant les clichés sans se soucier de ce qu’elle trucide. Inutile d’espérer voire ici ressusciter l’essence punk de God hand (avec son gameplay dandy). Lollipop chainsaw a bien un look vintage de jeu PS2, son destin politique et esthétique est ailleurs. Plus largement dans l’image de synthèse d’un jeu vidéo qui prend en compte d’être arrivé avec la fin de trente années de pop culture sur lesquelles on tourne en boucle sans savoir se redéfinir. A sa manière, le jeu suit les interrogations critiques de Simon Reynolds pour les matérialiser dans un produit bordélique posant un constat qu’aucun autre aujourd’hui ne semble capable de faire. Lollipop chainsaw est plus qu’un beat’em-all de gros geek qui tache. Il est un modeste mais génial manifeste anti-culturel au coeur du système. Une capsule détonante de nihilisme contrarié posant autant un constat atomique, qu’il promet de revitaliser sous les traits de la jeune fille la possibilité que cette pop sans monde puisse encore servir à quelque chose.