Inviter à la contemplation et à la rêverie ne fait pas exactement partie des habitudes du genre stratégie en temps réel. Hiérarchiser les compétences ; anticiper les besoins en nouvelles qualifications ; augmenter la rapidité d’extraction des minerais et de construction des bâtiments. C’est une organisation tayloriste de la main d’œuvre qui fait peu de cas de notions tel que le mystère ou l’enchantement. Quelque part, l’immense corpus des activités du secteur primaire proposées dans la série de simulation de vie paysanne des Harvest moon devait tout naturellement un jour être mis à profit dans un jeu de stratégie. Issue de l’imagination du même producteur et concepteur, Yasuhiro Wada, c’est justement le cas dans cette Histoire d’un petit roi, charmante, richissime et aux ambitions pourtant difficilement cernables.
Le titre démarre à la manière d’un conte. Un enfant timide et solitaire se perd dans une étrange forêt et devient par hasard le monarque d’un royaume réduit à la taille d’un prés. Aidé de ses ministres (un gros benêt, un scribe et un chevalier vacher), au petit roi de mettre ses sujets, les adultes insouciants (comme des chômeurs, la joie de vivre en plus), au boulot pour étendre le royaume d’Alpoko et asseoir sa prospérité. Dans la logique du jeu de stratégie console, Little king’s story emprunte les mécanismes de la série Pikmin. Comprendre, à l’aide de son sceptre, le roi (dirigé par le joueur) sélectionne à la volée les sujets qu’il souhaite emmener avec lui, puis les lance à l’aide d’un pointeur sur les divers obstacles (naturels ou ennemis) pour s’enfoncer toujours plus loin dans l’exploration des terres.
Mais si l’essentiel du jeu est basé sur l’exploration et le combat, la comparaison avec le micro cosmos de Shigeru Miyamoto s’arrête là. A chaque lopin de terre conquis, des ateliers constructibles permettent de former de nouvelles compétences, elles mêmes ouvrant de nouvelles voies de passage et permettant de battre d’autres ennemis plus coriaces. Plus loin, toute la dynamique du titre repose sur les multiples missions et requêtes dont vous abreuve votre peuple. Si nombreuses qu’elles semblent en nombre infinies, ces missions secondaires sont le pain quotidien qui nourrissent, en récompense sonnante et trébuchante, les besoins courants en améliorations du royaume (nouvelles armures, coût de formation des adultes insouciants…) mais pas seulement. Elles constituent également l’occasion typique d’une bonne ballade, le mètre étalon d’une journée réussie de loot au royaume d’Alpoko. Sept heures du matin, le roi se lève et passe en revue les lettres de doléances. Un groupe de légumes radis rebelles terrorise le sud du royaume ? Du haut de son promontoire, le roi sélectionne ses troupes, leur nombre. Le lieu de l’affrontement est réputé pour ses tas de bois mort ? Il prendra avec lui un ou deux bûcherons. Constellé de trous recelant des trésors ? Il pensera à inclure des paysans maniant la pelle. Mais ici, pas de recrutement à la quantité ; chaque citoyen est choisi l’un après l’autre et par son nom. Neuf heures, quand l’équipe est au complet, il est temps de partir. Le long du chemin, il y a toujours un nouveau trou pas encore creusé ou une botte de paille pas encore soulevée comme autant d’invitations passagères à dévier de la destination fixée. Une fois en présence de l’ennemi, il s’agit souvent de gérer le rythme de l’envoi des troupes sur la cible et son retrait quand l’ennemi contre attaque. Quelques heures ingame plus tard, l’affrontement fini (sans victime dans les rangs, on l’espère), la fine équipe rejoint le village sous la lumière orangée d’un soleil couchant.
Ca n’a l’air de rien mais ce schéma et ses variables, sans vous en rendre compte, vous les effectuerez des dizaines de fois pour remplir le caprice d’une princesse qui exige que l’on complète la liste de tous les ingrédients comestibles (laissés par les ennemis) ; pour aller chercher un tableau en haut d’un arbre ; pour le plaisir de se frotter à un nouvel ennemi au look improbable. En fait, les qualités d’émerveillement du titre et la richesse sans cesse renouvelée de ses à-côtés sont tels qu’on en vient à oublier que Little king’s story a aussi une quête principale. De sa bande son issu du répertoire classique forte à propos (de Prokofiev, Mozart, Bizet, Ravel, Chopin, Bach…), à son extraordinaire chara et monster design à la fois mignon et original, et en passant par ses décors colorés, pastoraux et fantaisistes, le jeu de Marvelous garde son joueur captif et bien heureux d’un enchantement constant.
A la proposition du jeu d’exploration s’ajoute une autre plus discrète car moins active pour le joueur ; celle de la simulation de vie. Un bûcherons qui roupille dans une clairière et qui vous voyant approcher fait semblant de couper un truc ; un soldat qui botte les fesses d’un adulte insouciant ; des sujets qui tombent amoureux ; d’autres qui s’habillent en noir pour pleurer un ami tombé au combat. La visite du royaume et de ses quartiers réserve toujours son lot de situations triviales et drôles. Ainsi, c’est à la fois ivre de petites escapades, de tranches de vie au microscope, et conscient que la grande aventure touchera nécessairement un jour à sa fin, que le joueur s’attaque à sa mission principale : réunifier le monde en défiant progressivement les autres rois des contrées voisines. A l’humour crétin et surréaliste qui dépeint chaque monarque (mention spéciale au roi français Choualacrème, adepte de la bonne chair, et au roi Déblok, qui prône le bonheur par l’alcoolisation massive) s’ajoutent aussi des boss fights aux mécanismes surprenants et originaux.
Au final, malgré quelques légers errements de sa maniabilité, Little king’s story constitue un jeu monde, à la fois riche dans son contenu et sa proposition de jeu mais, à l’instar de Harvest moon, étonnamment modeste dans ses ambitions. A hauteur de gameplay, il maquille la rigueur du nombre, des compétences, des points de vie et des troupes propre au jeu de stratégie par une réalisation enchanteresse et un élan joyeux. Celui de la promenade d’un petit roi et de sa cour bigarrée et fine équipe, championne de la digression ludique et de la procrastination rêveuse. La ballade des gens heureux, en somme.