Le zombie est devenu l’un des plus grands prétextes théoriques pop de ces dernières décennies (voir notre dossier dans Chronic’art#56). Sa figure en cache toujours une autre, tel un objet discursif aux multiples ramifications abondamment nourries par le cinéma. Pour le jeu vidéo, recyclant les fondations successives posées par Romero et ses descendants, le zombie est avant tout un motif. Esthétique d’abord, mais autorisant ensuite une logique d’intensification maximale de l’ennemi. Qu’il permette un principe de surenchère, d’abondance ou de déflagration (morcellement des corps), le zombie produit une forme de jouissance fondée sur la défiguration. Il substitue au monstre d’autrefois une nouvelle apparence, humaine mais dégénérée, changeant notre rapport avec ce que nous sommes supposés détruire pour avancer. Car tuer du zombie, c’est toujours s’accomplir dans une forme de libération morale. C’est parce que ce corps à figure humaine est infecté et que les règles du jeu et de la survie dominent, que nous sommes obligé de l’éliminer.
Ainsi les perspectives du cinéma et du jeu bifurquent. Il n’y a plus seulement une question de représentation, et les problèmes qu’elle soulève, mais aussi d’action. Le corps déshumanisé et symbolique du zombie n’étant plus qu’une enveloppe vide dans laquelle s’insère notre propre motivation d’anéantissement. De tous les jeux propres au genre, Left 4 dead est celui qui a poussé le plus loin cette idée : vue à la première personne renforçant la subjectivité, mode coopératif quasi obligatoire, randomisation des ennemis, véloces et nombreux, tout le jeu de Valve repose sur une amplification du meurtre de masse où les joueurs sont libérés ensemble des contraintes du réel. Sa suite, Left 4 dead 2, n’apporte rien de nouveau au concept de bases, seulement des ajustements, des modes de jeux supplémentaires, une meilleure structure, des nouveaux personnages, une difficulté revue à la hausse, et toujours la possibilité de passer de l’autre côté en incarnant un infecté, soit un génial renversement du point de vue (prendre possession des corps déshumanisés des zombies achevant cette libération morale qui finalement est aussi celle du jeu de tir en multi). Pour le reste, sauf les nouveaux environnements, le terrain est connu. Mais c’est aussi la raison pour laquelle on reprend du service : retrouver ce rythme frénétique, survivre à des hordes de zombies sans jamais négliger ses partenaires, se soumettre à l’obligation à faire corps pour survivre. Dans des espaces chargés de mythologie américaine (centre commercial, fête foraine, marais…), Left 4 dead 2 propose un gigantesque carnage où le regard ne s’arrête jamais, le cadre sans cesse submergé par des ennemis aux patterns imprévisibles. Avec sa maîtrise de l’action et du rythme intégralement dédiée à un gameplay souverain, Valve impose définitivement sa licence. Pas de vraie révolution toutefois dans cette suite (le concept demeure aussi difficilement largement amovible), plutôt un peaufinage afin d’optimiser ses possibilités. Ce qui est déjà pas si mal.