On a peut-être annoncé trop vite le déclin du game design japonais. Schizophrène, la culture nippone est inconciliable, tiraillée entre archaïsme réactionnaire, animisme High Tech et capitalisme malade. Le jeu vidéo en paie aussi les conséquences. Mais prenons le problème autrement : avec Infinite Space, Nude Maker permet à Platinum Games de boucler sa première salve de titres gamer. Après Madworld et Bayonetta, le beat’em-all fait place au RPG. Pur jus, old school, radical. Le titre est programmatique : Infinite space se veut un space opéra de poche. Dans une ambiance anime aux dialogues ahuris avec des héros échappés d’un shonen lambda. Oui, rien de neuf, que du déjà vu (en dépit d’un scénario vaguement inspiré d’Arthur C. Clarke, tout de même), mais l’essentiel est ailleurs. Alternant exploration des systèmes solaires, gestion stratégique et technique (des flottes de vaisseaux et leur équipage à recruter aux quatre coins de l’univers) ou combats interstellaires en temps réel (via un système simple, mais judicieux et vite intuitif), le jeu séduit par son univers, son gameplay et une immensité à faire peur. Presque trop, au risque de s’y perdre, d’errer à la recherche d’une prochaine quête : une lecture inattentive des dialogues ayant rapidement fait de vous propulser là où personne ne vous entendra crier « mais bordel, où il faut aller ?! ». Puisqu’ici, aucun récapitulatif, ni notes salvatrices, c’est papier + crayon ou crève. Old school.
Ce degré d’exigence, comment on en voit désormais rarement, même dans le genre parfois fatigué par trop de procédés du RPG japonais, tel est aussi le prix à payer pour Infinite space. Un jeu lent, généreux, parfois un peu répétitif et exténuant, mais fourmillant de personnages et nécessitant un investissement total sur la durée : le compteur de temps se bloquant facilement au-delà des cent heures, on comprend qu’il est plutôt du genre sur lequel il faut insister pour en déceler la grandeur, en apparence parfois minime, discrète. En dépit du passage obligé par des séances de leveling, toujours un peu soûlantes, les possibilités de customisation ou upgrade des vaisseaux et de l’équipage sont quasi exponentiels et rendent le titre assez vertigineux. Intelligent, geek, sexy malgré sa sobriété, Infinite space montre surtout que les Japonais se foutent, un peu, de la révolution. A l’hyper modernité qui les gouverne, ils préfèrent la voie ludique d’un classicisme aux enjeux aussi limpides que ses mécanismes éprouvés mais durables. Le RPG, tendance Infinite space, témoignant de leur passion inaltérable pour des genres fermés dont la richesse repose sur une certaine idée du remplissage. Une manière d’user la totalité d’un système, de s’y reposer également, comme si dans les archaïsmes reposaient les fondations rassurantes de toute une vision du monde. Ou encore, tradition oblige, que dans le minimalisme résidait le strict nécessaire pour produire une illusion suffisante – à l’imaginaire, son exploration ludique, qui aurait besoin de trois fois rien pour exister. Alors à quoi bon refaire le monde en haute définition, lorsqu’on sait qu’une poignée de pixels et un système simple mais addictif suffit à tisser l’étoffe dont sont fait les rêves ? A l’échelle des galaxies d’Infinite space, le jeu vidéo tient de l’élémentaire et de l’essentiel jardin d’enfants. En somme, un autre refuge.