Axiome : tout jeu au concept original qui rencontre le succès a vocation à donner naissance à un nouveau (sous-)genre vidéoludique. De plagiats en variations subtiles sur l’alliance du jeu de rôle et du casse-tête type Bejeweled à base de formes à réunir par trois (ou plus) sur une grille, c’est ce qui est arrivé à Puzzle Quest, coup de maître de 2007 des Australiens d’Infinity Interactive si largement imité que l’on peut désormais trouver sur le Net des classements des 30 (ou 50, tant qu’à faire) meilleurs puzzle RPG Android ou iOS. Autant dire qu’Hero Emblems, du micro-studio (deux membres) taïwanais, ne sort pas d’emblée du lot malgré le charme gentiment manga de ses petits héros soigneusement animés.
Tout ça n’a pas vraiment de personnalité, se dit-on d’abord alors que s’approche un monstre aux faux airs de slime de Dragon Quest. Mais, quand même, la carte du monde est jolie. Et les menus sont à la fois clairs et intrigants – tiens, il y a même pas mal de possibilités de gestion des compétences. Et puis, même si, dans ses grandes lignes, le récit ne s’annonce pas renversant avec sa princesse qui se fait enlever, de petites touches d’humour retiennent régulièrement l’attention – plutôt marrante, et touchante, tiens, cette prêtresse qui ne comprend rien. Toutes ces petites touches, au fond, sont ce qui distingue Hero Emblems de la masse des puzzle RPG mécaniques et sans âme. D’autant qu’elles sont révélatrices d’un grand dessein.
Pas question, en effet, de se contenter ici d’associer des symboles dans la partie inférieure de l’écran en ignorant ce qui se passe en haut. Pour s’en sortir – en particulier face aux premiers boss, assez cruels –, il faudra tenir compte des points faibles des créatures rencontrées entre grottes et forêts, de l’état de nos jauges de défense et de santé mais aussi, parfois, anticiper l’affrontement suivant pour choisir quelles icônes garder en réserve sur la grille. Chacune correspond à un type d’action : attaque physique, magie, défense ou soin. Ça n’a l’air de rien mais, comme dans tout bon Bejeweled-like, tout sera affaire de combos et de réactions en chaîne qui augmenteront la puissance de nos coups, débloqueront des pouvoirs supplémentaires, etc. Vaut-il mieux associer trois symboles d’attaque ou attendre d’en avoir quatre, voire – soyons fous – cinq ? Viser la victoire rapide ou se préserver en vue d’une lutte qui dure ?
Les questions que se pose le joueur ne sont pas abstraites, confinées à la grille garnie d’icônes colorées. Car ce qui occupe ses pensées alors qu’il s’échine à les assembler intelligemment, c’est bien ce qui se passe dans la partie supérieure de l’écran, sur la scène du petit théâtre lumineux où évolue son quatuor d’aventuriers juvéniles à grosses têtes. La véritable réussite de Hero Emblems est là : le jeu de rôle ne se résume pas à un prétexte pour enchaîner les parties de puzzle game tant les deux se révèlent intimement liés. L’assemblage de symboles, au fond, est ici un système de combat. Un vrai, riche, stimulant et entêtant, qui en vaut bien d’autres. Et nous réconcilie accessoirement avec le grinding – inévitable – que l’on en vient presque à trouver rafraichissant. C’est dire.