« J’sais pas jouer, aut’chose que du reggae », ânonnait l’oeil éteint et la langue chargée l’idole trépanée des adolescentes patchoulis. Moi non plus je sais pas jouer, autre chose que des bons jeux. A l’heure où je tape ce papier, ma sauvegarde de Headhunter : Redemption affiche 40%. Ce qui signifie que je suis loin d’en voir la fin : à vrai dire, je ne lui ai même pas laissé le temps de zapper l’héroïne que je manie péniblement pour me mettre dans la peau de Jack Wade, héros du premier Headhunter. Ca ne va pas m’empêcher d’en parler. Je vous laisse le temps de cette phrase pour essuyer votre haine et votre indignation. Bien.
C’est vrai, je n’ai pas fini Redemption. Et ce ne sont pas les excuses qui manquent pour expier ce manquement : un freeze, il est vrai assez idiot, m’a par exemple fait perdre toute une matinée de progression. Mario vs. Donkey Kong me faisait de l’oeil. C’était trop dur. Ce genre de pirouette n’aurait toutefois rien de très convenable. La vérité, c’est qu’Headhunter refuse d’exister. Compilant redites, emprunts et clichés, il est l’exemple même du produit dérivatif, qui ne veut pas, qui n’essaye pas, se refusant tout de go le droit à l’échec comme à la réussite. Son ouverture en est d’ailleurs la meilleure illustration. En un premier niveau quasi-expérimental et assez mauvais, Headhunter : Redemption nous rejoue la grande scène du Metal gear solid. Mais tout à la joie d’avoir réussi son larcin, il quitte les lieux du crime en oubliant ce qui aux yeux des joueurs incarne le ridicule estampillé Kojima. Première impression de déjà-vu : une porte s’ouvre sur un long couloir aux murs maculés de sang. Quelques cadavres adossés au mur témoignent d’un récent carnage. Vient ensuite l’agonie du premier boss, second couteau attifé SM, et notre héroïne qui s’agenouille près du corps pour recueillir un semblant de rédemption. Enfin, les développeurs nous laissent au prise avec une rookie peu charismatique tandis que le héros du premier épisode, baroudeur accompli au look scandaleux, meuble ses cut-scene de sentencieux sermons. Vous connaissez le motto : « Une fois, c’est un hasard, deux fois, c’est une coïncidence, trois fois, c’est une conspiration. »
On se prend quand même, l’espace d’un instant, à rêver qu’Headhunter fasse preuve des mêmes défauts que son illustre inspiration. Y aura t’il d’incessants dialogues ? De la philosophie de bistrot ? Des vampires bisexuels qui dansent le flamenco, de sombres histoires d’inceste et des ralentis sur perroquet ? Bien sûr que non. En l’absence de ce qui rend Metal gear solid si adorable et atroce à la fois, le titre d’Amuze n’est jamais qu’un jeu de plus. Problème : il n’est pas très bon. Contraint de survivre sans le moindre sursaut, il traîne derrière-lui ses variations jouées et rejouées depuis bientôt cinq ans et d’impardonnables lacunes : temps de chargement estampillés Neo Geo CD, maniabilité hasardeuse et environnements désolés, avec, en sus, l’une des pires caméras du moment, et ce n’est pas faute de valeureux adversaires. Dépourvus de mises en situation inventives, les combats s’y déclinent sur un mode binaire : la charge héroïque, avantagée par des ennemis étonnamment maladroits, où l’échange de tirs à couvert, le level-design copié-collé étant plutôt généreux dès lors qu’il s’agit de placer une caisse ou une colonne pour vous servir d’abri de fortune. Passée la boucherie de circonstance, Headhunter s’autorise souvent quelques casse-tête distrayants mais peu imaginatifs.
Pourquoi perdre son temps sur Redemption ? Il n’offre rien qu’une longue traversée sous prozac des territoires surpeuplés du shoot à la troisième personne. On y joue pourri d’automatismes : AK 01, C4, roulades, stealth kills, générateurs-sur-le-point-d’exploser-qui-n’exploseront-jamais… Inutile de chercher une once de plaisir ou de dégoût dans la pratique de ce titre-morphine. « Turn the damn console off, now ! », intimait lors d’une séquence passée culte son père putatif. Dont acte.