A Noël 98, je suis directement passé du CPC 464 au Pentium III 466 Mhz. Ce fut une véritable révélation. Tout de suite, Boulder dash était vachement plus beau. Et puis c’était grisant ce lecteur CD-Rom 4x, même si le petit côté musique concrète du loading cassette me manquait. Mon P3 d’Auchan et moi, on allait faire de grandes choses ensemble, foncer dans les méandres du Net à 56 ko/s et hacker la matrice comme chez Gibson. Bref, tout à la joie de mon nouveau jouet, je lâchais ma Coregrafx pour étrenner la bête lors d’une LAN endiablée. Au milieu d’une congrégation de geeks bon teint, le maître des lieux tira de sa mallette un benchmark. Un classique, avec un pauvre hélicoptère survolant tranquillement des paysages escarpés. Le tout durait bien un quart d’heure, avec différents niveaux de détails et un petit compteur affichant les frames par seconde au sommet de l’écran. Et puis plus rien. Un score, la note de ma machine. Un score un peu pourri je crois. Mais on n’en était pas trop sûr. Alors tout le monde voulait essayer le benchmark (il y avait cinq machines). On comparait les scores, quelqu’un sortait le Joystick du mois et cinq minutes plus tard tout ça s’engueulait sur la dernière carte graphique du moment. A trois heures du matin, j’ai pris la route malgré deux litres de Coca et je suis rentré jouer à Baldur’s gate avec les détails au minimum. La morale de cette histoire, c’est que ce n’est pas Half life 2, Deus Ex, Counter ou Warcraft III le jeu le plus joué sur PC : c’est le benchmark. Dans le monde ultra-compétitif des illuminés de la GeForce, si tu ne tournes pas à 60FPS, tu es obsolète. C’est comme un rêve où tu vas tout nu à l’école, en pire.
Ces concours de bits, le monde console n’en a jamais vraiment souffert. Les rares pierres de voûte qui soutiennent sans faillir sa petite cathédrale au FPS sont sans conteste Goldeneye et Halo, deux titres qui brillent avant tout par leur équilibre et leur honnêteté. Le premier a beau tirer sur la corde du Die & Retry, il bénéficie d’un level-design policé, d’une IA efficace et de l’ergonomie de la manette N64. Halo, pour sa part, repose sur une idée simple, clamée à longueur d’interviews par les développeurs de Bungie : « obtenir trente secondes de jeu tonitruantes et les dupliquer jusqu’à plus-soif ». Halo et son level-design copié-collé, antithèse des ambitions narratives de Half life. Un jeu dont la seule exposition se résume à deux bandes noires et un titre de chapitre avant que la boucherie ne reprenne, des titres simples, du genre « attaque de la base » ou « prise d’assaut du vaisseau ». Voilà, c’est honnête, on sait où on va. Les amoureux transis, ceux qui ne décrochent toujours pas du coop en Legendary trois ans après sa sortie y trouvent un remède définitif au scripting-roi. On a beau reprendre l’attaque du fort de Halo, elle parvient toujours à surprendre et conserve toute son urgence, toute son intensité. On peut courir au front dans une charge désespérée. On peut tenir ses positons avec hargne. On peut arpenter les dédales souterrains du niveau pour prendre l’adversaire à revers. Un sentiment de fraîcheur, d’inattendu, la sensation que rien n’est joué, voilà les sentiments qu’ont fait naître chaque grand moment du jeu. Car inutile de se leurrer : Halo, c’était surtout quelques morceaux de bravoures qui survivaient à la fin de l’aventure, des cartographes silencieux dont la richesse demeure inépuisable. Il ne tirait pas sa force d’une histoire, ni même d’une mise en scène : seulement de la rencontre entre l’IA adverse et de belles audaces de gameplay, comme le bouclier rechargeable et la limitation de l’armement. Alors, durant l’exposition de son successeur, lorsqu’on subit de longues séquences verbeuses, que tout à coup les Covenants font les frais d’un anthropomorphisme déplacé et dévoilent leurs états d’âme dans la langue de Shakespeare, bref, que tout un tas de questions qui n’ont rien à voir avec l’essence du titre pointent le bout de leur nez, le joueur doute. Et il n’a pas tort. Les trente secondes ont disparu, sacrifiées, en partie, sur l’autel de la surenchère hollywoodienne.
On a rarement insisté sur le talent de character-design dont ont bénéficié les créatures de Halo. Tout le génie de la conception des personnages tenait à un refus de l’explicatif. Les adversaires sont une voix, une démarche, une tactique de combat, mais guère plus : ils sont le corps adverse à l’écran, ils sont l’action du jeu. Aujourd’hui, Halo 2 va à l’encontre de sa nature en s’apprêtant d’ambitions narratives fatigantes. Le scénario se fait plus envahissant, plus complexe aussi : il multiplie les points de vue, passe d’une faction à l’autre et se permet même un cliffhanger final bien énervant. De sa hiérarchie à ses luttes intestines, rien ne vous sera épargné sur l’alliance Covenant au cours des nombreuses cinématiques du titre. Sur la lancée de cette vaste entreprise de démystification, Halo 2 achève de banaliser ses figures fortes en nous mettant dans la peau d’un Elite, pour un résultat somme toute anecdotique. Une révolution de salon qui montre à quel point les efforts de Bungie pour trahir sa série lui portent préjudice.
Le second problème soulevé par cette nouvelle approche, c’est le manque de souffle. Adieu trente secondes bénies, on court aujourd’hui le marathon pour éviter toute répétition. Halo proposait un système polyvalent. Les véhicules étaient autant d’armes laissées au jugement du joueur, sans qu’il ait jamais l’impression qu’on les ait placés là par nécessité. Désormais, le jeu alterne passages traditionnels et séquences coup-de-poing, comme cette violente traversée de pont à bord d’un char scorpion ou cette fuite dans les ténèbres très Metroid prime. Souvent parcourues de beaux efforts de mise en scène, celles-ci semblent toutefois hors-contexte, presque artificielles : à ce titre, la première utilisation des banshees, imposée au joueur sans aucune alternative, fait montre d’une rigidité en contradiction totale avec l’essence même de la saga. On jouera désormais la scène en ghost, la scène en tank puis la scène à pied, esclaves d’un level-design en dents de scie. L’histoire se répète. Halo 2 ne se rejouera pas d’une traite. On choisira avec parcimonie ses niveaux. Ceux-là, qu’on se le dise, font partie des passages les plus réussis, tout FPS confondu : de l’enchaînement « Banlieue-Métropole » au « Halo Delta-Regret », le titre conserve cette vision bigger than life, ce talent pour les architectures colossales qui fait passer toute comparaison esthétique avec des amuse-gueules comme Riddick pour une vaste plaisanterie. Les rares innovations de gameplay font mouche : la possibilité d’éjecter un pilote de son véhicule, l’ambidextrie ou la disparition de la barre de vie sont autant de touches discrètes qui viennent renforcer des bases solides. Autant d’amendements dont on ne saisit l’importance qu’après avoir goûté au mode multi-joueurs. Halo 2 mute alors en un grand foutoir explosif, une orgie de métal furieusement bandante, malheureusement amputée sur le Net par un système de configuration des parties bancal. Qu’à cela ne tienne : pour peu que l’on cède à ses instincts grégaires, il suffit de deux machines en LAN et de quelques amis motivés pour vivre une expérience qui pulvérise, et le mot est encore trop faible, l’excitation du coop’. Comme Pandora tomorrow avant lui, Halo 2 s’illustre comme une suite plus intelligente qu’on ne le soupçonne, qui pallie aux faiblesses inévitables de son mode solo par une expérience en ligne incontournable. Autrefois sous la tutelle de ses inspirations, le FPS console continue de s’affirmer, n’en déplaise aux aigris qui craignent pour les frontières de leur royaume. Plus qu’une sociologie du joueur PC, l’introduction de cette chronique se veut un appel au civisme : si demain dans ta rue, si demain dans ta ville, on te montre du doigt parce que tu joues à Halo 2 et pas à Doom 3, file-leur une petite pièce parce qu’ils n’ont probablement plus une thune pour bouffer.