Dans Half life 2, on retrouve Gordon Freeman et ses comparses plongés dans un monde orwellien où l’humanité, sous le joug d’un mystérieux cartel tyrannique, survit tant bien que mal dans un ghetto crasseux (City 17). Partout, l’omniprésence d’écrans diffusant la propagande du chef de la milice rappelle la triste condition des rescapés de Black Mesa. Voilà pour le contexte du jeu, pour le fond on va dire. Osons le parallèle avec la forme, ou plus précisément les conditions d’accès à cette oeuvre quasi-messianique car suite du FPS le plus révolutionnaire et le plus idolâtré de tous les temps. Pour pratiquer Half life 2, en effet, il faut passer par Steam, logiciel concocté par Big Brother Valve. Sous couvert de gestion de communautés online, Steam cache en vérité un soft qui contrôle la validité du compte du joueur avant chaque partie. Valve, dit-on, a ainsi déjà banni quelques 20 000 comptes d’utilisateurs douteux… Vu l’ampleur de la catastrophe que le fameux casse vidéoludique du siècle a occasionné pour le studio concepteur, on peut comprendre les prises de précaution. Sauf qu’ici les intentions sont loin d’être claires. Plus grave, ce système d’authentification oblige le joueur à subir une installation de jeu interminable ainsi que des temps de chargement abusifs en cours de partie. Bref, Valve a privilégié une sécurité outrancière au détriment du plaisir de jeu. On ne va pas retracer l’histoire abracadabrante d’Half life 2 avant que celui-ci ne voit enfin le jour en cette fin d’année 2004 (précision pour les archives), n’empêche que les déboires en piraterie du studio auront indéniablement influé sur le destin du jeu, l’évolution de la série.
Dommage, car Half life 2 commence pourtant sur les chapeaux de roue : à peine sorti du coma, Freeman est invité à prendre la tangente pour fuir City 17 et fomenter, avec ses compagnons et ex-collègues de Black Mesa (belles réminiscences de l’épisode 1…), la révolution. Même pas le temps, dans les premières instants de jeu, d’apprécier le paysage. Il faut pourtant reconnaître que, de ce point de vue, Half life 2 constitue sans aucun doute la plus belle oeuvre d’art vidéoludique du moment sur PC. Plus beau que Doom 3 par exemple. Et que FarCry avec lequel on pourrait sous certains aspects le comparer : les randonnées en véhicule (ici en hydroglisseur et en buggy), l’immensité des espaces extérieurs… Nuance pourtant : avec Half life 2, les concepteurs ont clairement fait le choix de la variété. Résultat : pas un niveau ne ressemble à un autre, dans la forme comme dans le fond. L’interminable mais plaisante séquence en buggy, avec deux-trois pauses hélico à torpiller, n’a strictement rien à voir avec la phase finale, pas moins conventionnelle, dans la Citadelle (et les prisons) du Cartel. En outre, mais de la part des créateurs de Half life pouvait-on s’attendre à moins que ça, le jeu autorise une incroyable interaction avec les décors, ce qui permet à Valve de proposer des énigmes assez captivantes parce que savamment étudiées. C’est pas le Da Vinci Code évidemment, mais dans le genre challenge basique -« comment s’échapper d’une zone a priori sans issue ? » ou « comment relever un tremplin trop abaissé pour sauter en hydroglisseur d’une rive à l’autre ? »-, on a vu pire. Enfin, malgré ses airs de FPS traditionnel et ses univers convenus -on y revient…-, il faut reconnaître à Half life 2 de vraies innovations là où d’autres se contentent de gentilles feintes de gameplay, du genre effets de lumière / obscurité pour accroître l’immersion du joueur. D’abord, il y a le fameux pistolet anti-gravité, engin qui permet d’aspirer la quasi-intégralité des éléments de décor pour s’en servir comme projectile contre l’adversaire -les dégâts causés varient selon la nature des objets récupérés, de la planchette de bois au baril d’explosifs-, ou pour dégager le passage. Ensuite, une première, Gordon Freeman peut dompter / hypnotiser des insectes pour leur ordonner d’anéantir l’ennemi. Autre compagnon de route : le mécha-chien, capable de balancer des carcasses de bagnoles sur les troupes du Cartel. Scripté certes, mais impressionnant.
Difficile donc de faire l’impasse sur cette imposante suite du pionnier du genre FPS scénarisé. Un regret tout de même, une frustration pour tous ceux qui ont pris de plein fouet dans la gueule la claque Valve en 1998, à la sortie du premier opus : cette volonté de varier les styles justement, c’est aussi, malheureusement, ce qui annihile l’identité, la singularité du jeu. Terminé la belle cohérence et l’originalité des aventures à Black Mesa. Dorénavant, les aventures de Gordon Freeman se déclinent comme celles de Oui-Oui ou Tintin : Half life 2 c’est Gordon Freeman au pays de Clive Barker (Ravenholm, ses zombies et autres entités démoniaques), Gordon Freeman aux Caraïbes (les plages à la sortie de City 17), Gordon Freeman dans Starship Troopers (les essaims de sauterelles géantes), Gordon Freeman chez Dark Vador (la dernière partie du jeu, dans la Citadelle clinico-hi-tech-lucasienne du Cartel)… Et Gordon Freeman dans Half life ?