Jouer à Guitar Hero aujourd’hui, c’est un peu comme sortir du placard ce jean slim de 2005 acheté dans un moment d’égarement, on comprend vite qu’on aurait jamais dû et qu’un truc a décidément dérapé dans l’histoire du rock. Survendu comme un come-back indiscutable en même temps que celui de son concurrent Rock Band (que personne n’a voulu dépoussiérer non plus), le retour du jeu de rythme culte des années 2000 ne revient pourtant pas sans faire peau neuve. On peut même dire qu’Activision a revu sa copie de fond en comble puisque tout, de la guitare, au jeu en passant par ses modes et sa présentation, a été remanié. Enfin en apparence.
Guitar Hero se joue désormais sur une gratte avec six frettes superposées en deux rangées de trois touches et devant un public filmé (le mode Live du titre). Terminés donc les backgrounds de cinématiques pourries, mais pas cette imagerie rock aseptisée qui depuis toujours est la marque de fabrique visuelle de la licence. Si l’idée de ressortir la FMV (Full Motion Video) est sympathique, le rendu se révèle rapidement grotesque, donnant lieu à un enchainement de groupes bidons au charisme aussi authentique qu’un rock band Disney – bien sûr tout y est : tatouages, piercing, barbes, fringues etc, mais rien n’est crédible, tout est propre et béat. Pire, tous jouent des tubes pour la vaste majorité inécoutables, originellement si mal mixés qu’on perd à reconnaitre son instrument dans cette purée sonore prête à être diffusée sur YouTube.
Guitar Hero n’a finalement pas changé, sa représentation du rock perpétue une imagerie moins inoffensive que javellisée, où le public qui s’agite face au joueur, comme tous ceux croisés en backstage, ne reflètent qu’une parodie d’un monde désincarné et absolument pas sexy. Toutes filmées en vue subjective (pour « accentuer l’immersion »), ces scènes donnent l’impression de revivre l’ouverture du Snake Eyes de Brian De Palma (un plan séquence à la première personne), mais plongée dans une relecture musicale neuneu de la série Le Prisonnier. Tous les personnages vous scrutent, lançant des clins d’oeil complices ou des regards désapprobateurs selon si vous réussissez à suivre ou non la partition. Parfois cocasses, tantôt étranges, ces feedbacks visuels sont d’autant plus curieux que le jeu les insère au moyen d’effets de montage en direct (la vue se brouille, soudain le public hurle de joie alors qu’une seconde avant il tirait la tronche), qui créent non pas une expérience live et continue, mais un espace temps composé de multiples couches différentes et contradictoires qui parfois se bousculent. Pour se faire oublier, les transitions auraient dû être moins visibles et jouer de coupes imperceptibles. Au contraire tout est lourdement signifié.
Mais ce n’est pas la seule limite à cette envie de réalisme raté, la vue subjective doit se coltiner un problème pourtant évident qui relativise beaucoup l’intérêt potentiel du concept (malgré tout bien réel) : l’obligation de lire la partition à l’écran, à laquelle on peut difficilement déroger. C’est sympa d’inviter deux cent figurants devant un fond vert quand on ne peut profiter du show que durant les quelques temps morts – car, oui, Guitar Hero est toujours aussi exigeant, ce qui n’en fait pas pour autant un meilleur jeu de rythme qu’il y a dix ans, malgré sa guitare améliorée simulant mieux l’objet réel. L’expérience du studio Harmonix (depuis revenu à Rock Band) l’année dernière avec Fantasia avait au moins le mérite d’ouvrir une brèche poétique un peu plus vertigineuse, et un gameplay jouant sur une synchronisation des mouvements pas beaucoup moins étendue.
Inutile de fantasmer aussi sur l’autre mode de jeu qu’Activision a voulu vendre comme un tour de force : le Guitar Hero TV, soit une chaine de clips à la demande et en continu où le joueur peut jouer sur des vidéos. Si l’option permet d’offrir un plus large éventail de morceaux, concrètement il s’agit juste de jouer sur des partitions à la rythmique plus ou moins fidèle, tout en regardant du coin de l’oeil les images défiler. On est pas si loin de ces jeux de rythme sur mobile qui permettent d’importer votre playlist ou d’acheter des morceaux. On cherche encore où est l’effort de se procurer pour pas cher une banque de clips, et de faire tourner un logiciel pour générer par-dessus des patterns à l’infini. Le principe semble ouvrir sur une manne interminable de contenu au gameplay médiocre qui n’aura qu’un seul but : justifier l’achat de la guitare. Bref, l’avenir du jeu musical, c’est encore pour demain.