Capcom a pour ainsi dire « inventé » le survival-horror. Il l’a enrichi, nuancé, puis il a fini par user son principe jusqu’à la corde. Arrivé à ce stade, il fallait que l’éditeur prenne du recul : il a finalement pris le parti d’en rire, avec Gregory horror show, récréation hilare et autoparodique d’un genre qui se mord la queue. Perdu en forêt, votre personnage entre dans une pension tenue par un rat, Gregory, et dont il devient plus ou moins explicitement le prisonnier. En rêve, lui apparaît la Mort (clin d’oeil gratuit mais sympathique au Septième sceau de Bergman) qui l’invite à récupérer les âmes détenues par les nombreux et encombrants pensionnaires de ce club vosgien de l’improbable, en échange de sa liberté. Ainsi, il vous faudra patiemment observer l’emploi du temps et comprendre les motivations de chaque protagoniste afin de le piéger à l’aide de l’item adéquat pour récupérer sa précieuse âme. Une aventure qui fait la part belle à l’infiltration et à la résolution d’énigmes à la logique pour le moins bancale. Car contrairement à un Resident evil ou à un Silent Hill capillo-tracté, il ne s’agit pas, ici, de rassembler les pièces d’un puzzle architectural, mais de faire réagir les occupants de la pension, à l’aide d’objets divers et variés, en étudiant leur faiblesses, leur moindre lubie, leurs intentions morbides et leurs passions déviantes. Ces phases d’épiage un brin voyeuristes évoqueraient presque le confessionnal d’un Loft story casté par Tim Burton ou, plus proche de la culture vidéoludique, une parodie des moeurs solitaires et sociopathes des habitants de Silent Hill.
A ce titre, votre présence au sein de ce zoo aux allures de Cour des Miracle à un prix : votre santé mentale diminue sans cesse jusqu’au dérèglement des sens, l’hallucination (cf. Eternal darkness) et enfin, une éternelle damnation. Pour garder tous ses esprits, plusieurs solutions : consommer des plantes vertes, dormir, ou lire un livre (la culture comme rempart psychologique à la décadence morale, une première dans un jeu vidéo de ce type !). L’ultime ennemi de votre santé mentale se manifestant par « le spectacle de l’horreur », vision cauchemardo-burlesque que peut vous infliger un pensionnaire à qui vous avez dérobé l’âme.
Noyé sous les références au genre et des situations abracadabrantes, Gregory horror show réalise une performance empreinte d’une indéniable élégance. « Où veulent-ils en venir ? » se demandent le joueur déboussolé et le critique averti qui attend la renaissance annoncée (Forbidden siren, Silent Hill 4, Resident evil 4…) d’un genre encore frais mais déjà routinier. L’occasion aussi, pour Capcom, de dresser le bilan in vivo de tout ce que sa saga a inspiré aux champions du genre, en neutralisant ses codes et en réinjectant ce qu’il faut de nouveauté et de trouvailles surréalistes pour préparer des lendemains qui chantent. Et dans le cas de Gregory et de son aimable pension, un requiem aux airs de cabaret.