Depuis le premier épisode coup de maître en 1997, Gran turismo a su, à la manière des plus grands jeux, construire sa propre légende. Issu de l’école japonaise du jeu de courses qui a vu naître des titres aussi mythiques que Daytona USA, Sega rally ou Ridge racer, Gran turismo est l’évolution naturelle de ces jeux d’arcade vers un contexte plus pragmatique. Bien qu’il soit sous-titré « The real driving simulator », il ne faut pas en déduire que la série choisie l’angle d’une reproduction pure et dure de la réalité. Nous sommes très loin des ténors de la simulation occidentale du style Grand prix legends. Selon Kazunori Yamauchi : « La simulation s’arrête là où le plaisir du joueur ne va pas ». De fait, malgré son obsession presque compulsive du détail, sa capacité à différencier la conduite de chacun des véhicules présents dans les jeux, malgré tous ces éléments indubitablement réalistes, Gran turismo propose une prise en main à l’évidente intuitivité. Le jeu autorise à peu près n’importe quel joueur à s’amuser rapidement, mais il ne se dévoile vraiment que si l’on veut bien s’investir durablement dans son fourmillement d’options de réglages, dans son système de progression largement inspiré des RPG nippons, dans le pilotage racé qui conduit à la maîtrise parfaite du véhicule et qui permettra les meilleurs chronos durant les interminables sessions de time attack. Gran turismo, fidèle à la tradition japonaise, est un jeu à la marge de progression énorme, mais dont il faut au préalable accepter les parti-pris.
Le tout nouveau Gran turismo 5 : Prologue sur la rutilante PlayStation 3 ne propose finalement que peu d’évolutions fondamentales, exception faite d’un mode online agréable mais aux fonctionnalités encore limitées et qui sera certainement amélioré, à l’avenir, par différentes mises à jour. Il est évident que ce classicisme et cette fidélité à la formule d’origine sera l’occasion d’une levée de boucliers auprès d’une certaine catégorie de joueurs habitués à la souplesse et à la philosophie user friendly des jeux de courses occidentaux. Si il y a une part de légitimité dans leurs exigences, il est difficile d’y répondre autrement qu’en disant que ce n’est tout simplement pas le jeu qu’il leur faut. Il existe suffisamment de jeux de course susceptibles de leur convenir dans le commerce qu’il serait injuste de blâmer le titre de Polyphony pour des attentes que, de toute manière, il n’a jamais voulu combler. Comme la plupart des jeux en provenance du pays du Soleil Levant, de Metal gear solid à Shenmue, en passant par Final fantasy ou Dead rising, il faut se conformer à la vision de leur créateur. Dès lors, les sempiternels reproches faits à la série (absence de dégâts, gestion old school de l’IA, gimmicks sonores, etc.) sont anecdotiques ; ceux-ci participent même, au contraire, à l’extraordinaire cohérence des jeux en leur confèrant une identité propre. Malgré les moyens et les enjeux financiers colossaux qui se cachent derrière chacun des épisodes de la série, Gran turismo est un jeu d’artisan dont tout nouvel opus apporte sa contribution – plus ou moins importante – à l’édifice global imaginé initialement dans l’esprit du bouillonnant Kazunori Yamauchi, visionnaire génial, capitaine du navire depuis ses débuts. Gran turismo 2 avait apporté les épreuves de rallye dans la série, Gran turismo 3 la conduite sur route mouillée, etc. Chaque nouvelle itération affine le travail, sans jamais toucher à l’âme du jeu qui perdure, intacte, depuis 1997.
Gran turismo 5 : Prologue s’articule autour d’une version allégée du gargantuesque mode GT présent dans les « vrais » épisodes de la saga, moins les habituels permis. Trois catégories (C, B, A) s’ouvrent au joueur et s’il remporte toutes les courses, il débloque la catégorie S ainsi que le mode Quick Tune, pendant light du mode Tuning que les fans de GT connaissent bien. On trouve également un mode Arcade qui autorise des courses aux paramètres libres sur l’ensemble des tracés du jeu, ainsi que la possibilité de faire du time attack ou du drift trial. Prologue propose 71 voitures de toutes catégories et notamment quatre Ferrari puisque – on le sait depuis Gran turismo HD et sa Ferrari 599 – la série en possède désormais la licence. On trouve également neuf circuits, plus certains disponibles en mode Reverse : le Eiger Nordwand déjà présent dans GT HD, High Speed Ring, circuit mythique de la série existant depuis le premier épisode, mais aussi Daytona International Speedway, Daytona Road Course, Suzuka, Suzuka East Course, Fuji Speedway F, Fuji Speedway GT et London City Course. La grande nouveauté de cet épisode, c’est bien entendu le mode online qui autorise jusqu’à seize joueurs à courir ensemble. Pour l’heure, en plus des sessions de time attack avec leaderboards mondiaux et téléchargement de ghosts, seuls des championnats imposés à l’image de ceux disponibles en mode solo sont accessibles. Ils permettent d’ailleurs de gagner des crédits utilisables dans le mode offline. Malgré la relative lenteur de l’interface, pouvoir jouer online à Gran turismo procure son lot d’émotions, surtout chez les vieux routards (j’en suis).
Sur le plan technique, Gran turismo 5 : Prologue est magnifique. Adepte de la ligne claire, le jeu continue de promouvoir une certaine épuration dans les formes et les perspectives : les voitures sont incroyablement modélisées mais paraissent dans le même temps complètement imbriquées dans le décors. Les effets de lumière verticaux à travers les arbres, le soleil qui percent le feuillage, le travail sur les décors ne se contentent pas d’être fidèles à la réalité, les éclairages recherchés et les détails atmosphériques frôlent l’esthétisme pur. Le son fait l’objet du même soin que les précédents volets. Les bruits de moteurs sont dans la continuité du style GT : capables de réalisme, ils sont aussi mixés de telle manière qu’ils ne cassent jamais les oreilles du joueur. On retrouve la sonorisation de l’air qui agit aussi bien comme un impact auditif que comme un choc visuel. Les voitures sont dehors, foncent contre l’air qui devient une matière, un obstacle ; raison pour laquelle nous l’entendons qui frotte contre la carrosserie avec une force tangible.
Gran turismo 5 : Prologue laisse indéniablement entrevoir ce que sera le futur Gran turismo 5. Au-delà de ces considérations, il s’agit concrètement d’un nouveau chapitre dans l’histoire d’une série née avec la PlayStation. Pour certains joueurs, c’est une manière de poursuivre une histoire d’amour entamée il y a dix ans ; et souvent, comme ici, les plus belles d’entres elles sont affaire d’intimité.