Taux de mortalité en forte hausse, surpopulation, épanouissement intellectuel quasi nul. « Ennemi de base » dans les beat’em-all, ça n’est vraiment pas un métier enviable. La faute à des conditions de travail précaires qui se sont encore dégradées avec la généralisation des clones de Dynasty warriors : ce ne sont désormais plus deux ou trois loubards somnolents qui tentent d’encercler le joueur, mais des dizaines de soldats falots et sclérosés. Brassens disait, « sitôt qu’on est plus de quatre, on est une bande de cons ». S’il avait observé les troufions abrutis des productions Koei, il aurait surtout dit : une bande d’incapables.
Certes, le joueur profite d’un bain de foule aussi sanglant qu’inoffensif et d’un sentiment de toute puissance. Un plaisir bien éphémère car à batailler sans peine, on triomphe sans gloire. Commencer la première mission de God hand en mode normal, c’est l’espoir de goûter à nouveau l’excitation d’être mortel. Comme Ninja gaiden, Viewtiful Joe ou Devil may cry 3 avant lui, God hand ne fait pas de cadeaux. Mais il ouvre les portes de son univers avec la nonchalance d’un monsieur loyal roublard et jenfoutre. Pas de cinématique d’introduction (à peine cinq secondes au début de la partie), des environnements sobres, des tutoriaux brefs et expéditifs, et du clipping en-veux-tu-en-voilà. Au premier coup d’oeil, ni franchement moche ni franchement clinquant, God hand a juste l’air négligé. La main de Dieu a les ongles sales.
God hand, c’est aussi une caméra particulièrement incommode -du moins au début- et étrangement familière qui accompagne le joueur. La même caméra qui ondoyait au rythme de l’électrique Vanessa Z. Schneider dans P.N.Ø3. La même caméra qui transformait le survival à papa et ses plans diapos sépias en reportage de guerre nerveux dans Resident evil 4. Une caméra qui aura finalement accompagné tout le travail de Shinji Mikami (à l’exception de Killer7) sur cette génération de machines qui agonise et qui trouve, dans God hand, son ultime ligne de fuite : le corps à corps. Ni grosses pétoires, ni longs couteaux, God hand remet au goût du jour les plaisirs simples du châtiment corporel sous sa forme la plus primitive : la jouissance du combo ne vient pas tant de l’apprentissage par coeur de combinaisons de touches, mais au contraire de l’acharnement répété sur un seul et même bouton. Problème : comment donner un peu de profondeur et de diversité à un jeu de combat basé sur ce genre de combos ? Facile : en laissant le joueur composer lui-même ses séquences à l’aide de coups qui varient en force, en rapidité, en rythme et en fonctions. Au joueur / compositeur de réécrire sa partition selon le type d’ennemi qu’il croise. Et aux vues de la diversité des adversaires présents dans God hand, mieux vaut essayer d’être inventif et prolifique.
Porté par un univers délirant -entre les western bolo-niais de Terence Hill, Ken le survivant, Devil may cry et les films de Stephen Chow-, God hand se permet un peu tout et surtout n’importe quoi. Une chose est sûre, la revalorisation sociale de l’adversaire de beat’em-all passe aussi par l’attitude : glamour, sexy ou vulgaire, mais toujours d’un mauvais goût très sûr, les ennemis, dans God hand, sont inoubliables. Mais qu’on ne s’y trompe pas : du groupe de heavy metal façon Spinal Tap, à la succube lascive, en passant par le gorille habillé en catcheur ou le duo de gogos échoués d’un char de la Gay pride, tous sont de redoutables combattants. A vrai dire, ils sont même pires que cela. Contrairement à Resident evil 4, dans lequel la résistance et l’agressivité des ennemis diminuaient progressivement après chaque game over pour aider le joueur à progresser dans l’histoire, God hand sanctionne très vite le joueur un peu trop timoré : plus on évite les coups, plus le niveau des ennemis augmente. D’une difficulté aux frontières de ce qui est humainement possible lorsque les adversaires atteignent leur quatrième niveau (intelligemment intitulé « DIE »), God hand devient le chemin par lequel le joueur n’en finit jamais de progresser. Il y a toujours un nouveau coup de pied à intégrer à sa séquence de coups, une nouvelle esquive haute ou basse qui offre l’espoir de terrasser un démon de deux mètres. Contrairement à beaucoup de jeux de baston à la difficulté idiote, God hand est fidèle au slogan qui accompagnait ses premiers trailers : « A ball bustingly hard game. But fair » (littéralement, « Un jeu difficile à s’en broyer les couilles. Mais un jeu juste »). « Un jeu pas fait pour être fini », selon Mikami et son producteur Inaba qui paraissaient presque s’en réjouir. Un jeu où la « main de Dieu » n’est rien d’autre qu’un accomplissement, une recherche de la maîtrise absolue, toujours à portée de vue, jamais aussi lointaine qu’on pourrait le penser. Où good guys et bad guys se battent à égalité. Où le joueur, jeté comme un vieux mouchoir au beau milieu de rixes désespérées, accepte la succession des game over comme le symbole de sa nouvelle condition : être un perdant. Mais un perdant magnifique.