Il y a deux écoles du jeu de rôle tactique japonais. La première fait de chaque bataille une énigme, obligeant à tirer profit de ressources limitées pour se tirer de situations difficiles. Fire emblem, sur GBA est un magistral exemple. L’autre école vise à l’illimité, invitant le joueur à se créer une équipe de héros invicibles. Final fantasy tactics (PS 1 et PSP) en est sans contexte un des sommets du genre, mais on peut aussi citer Disgaea (PS 2 et PSP) qui pousse à son extrémité délirante cette logique d’accumulation.
Comme son nom l’indique, FFTA 2 est un descendant de la seconde famille, mais surtout une suite conceptuelle du controversé Final fantasy tactics advance de la GBA, bien plus que du classique de la PlayStation. Si l’on retrouve l’univers d’Ivalice crée par un Matsuno Yasumi (Tactics ogre, Vagrant story, Final fantasy XII) qui a quitté Square Enix, c’est une version mignonnette de ce monde qui s’offre à nous, bien loin des intrigues tortueuses du premier Final fantasy tactics. Ici, la trame narrative est des plus minces. Mais à bien y regarder, quoi de plus normal ? On ne nous invite pas à suivre une histoire épique, mais à nous gaver de sucreries.
FFTA 2 est une boîte à bonbons. Couleurs pétantes, musiques mielleuses, de la belle ouvrage à dire vrai, même si on dénote une certaine affectation pour le flonflon, le ruban et autres kitscheries. D’ailleurs, on a un peu peur au début, tant les combats semblent patauger dans la guimauve : le moindre mouvement donne lieu à une animation d’une lenteur crispante, fâcheuse latence entre les tours de jeu. Mais, petit à petit, on apprend à accepter ce rythme, et on découvre que la boîte est à double fond. Le joueur se prend d’ivresse face à la variété des dragées, caramels, et autres réglisses qui s’offrent à sa gourmandise. Plus que tout, Grimoire of the rift soigne ses effets d’annonce, pour faire saliver son joueur : qu’on pense à ces boîtes de confiseries dont le dos s’orne d’un descriptif de chacun des bonbons. Qui songerait à s’arrêter avant de les avoir tous goûtés ? C’est exactement sur ce principe que repose l’addiction à FFTA 2. Le jeu ne cesse de nous présenter de nouvelles classes, de nouvelles compétences, en guise d’incessante auto-promotion : l’envie de découvrir la suite est entretenue tout au long du parcours. Tant pis si celle-ci ne délivre pas ses promesses, c’est le désir qui prime. Affronter des ninjas, c’est vouloir un ninja dans son équipe, même si la classe paraît inaccessible pour l’instant. Forger une arme et découvrir une compétence apparemment surpuissante, sans savoir quel personnage pourra l’équiper, quelle meilleure publicité ? Ainsi, le joueur sceptique est peu à peu conquis, et voilà que c’est le jeu qui le gobe tout cru pendant des heures. Pensez : un combat de plus et mon initié Vangaa pourra devenir templier ; encore un autre affrontement, l’affaire de dix minutes, et mon assassin apprendra une nouvelle compétence, et avec un peu de chance je pourrais fabriquer une nouvelle arme pour mon spadassin… Les confiseurs de Square Enix maîtrisent indéniablement le rythme de la gratification, distribuant régulièrement les douceurs au joueur rendu docile par tant d’onctuosité. C’est de cette manière qu’on se retrouve à engloutir les deux tiers de la boîte sans s’en rendre compte. Pour éviter au joueur de rester sur sa faim, les développeurs ont chargé la dose : FFTA 2 est un jeu très long, destiné à un solide appétit.
Comme pour la boîte de bonbons, ce n’est pas la qualité individuelle des produits qui compte, c’est la frénésie de leur consommation. A vrai dire, les combats de FFTA 2 ne sont pas d’un intérêt foudroyant. Il s’agit plus d’affrontement de super-pouvoirs que de véritables batailles tactiques. Le positionnement, par exemple, se limitant souvent à trouver le dos de l’adversaire. Certains pouvoirs sont franchement déséquilibrés : qui cherchera à aveugler un ennemi quand on peut le rendre complètement inactif ? On en vient à se construire une stratégie et à la répéter en boucle. Même en mode difficile, le jeu reste fort clément avec le joueur, malgré certains pics de difficulté. Ceux-ci ne doivent rien à une intelligence artificielle des plus limitées, qui a parfois tendance à se tirer des balles dans le pied. Certains adversaires profitent simplement eux aussi des largesses de la règle. Le système des lois, initié dans la version GBA, est discrètement de retour. Sensé varier la tactique en interdisant l’utilisation de certaines capacités lors d’un combat, il demeure inabouti. On lui sera gré d’être moins lourdaud que dans le volet précédent. Malgré un ensemble maîtrisé, le jeu comporte des idées qui ne sont pas menées à leur terme, la structure est parfois chaotique comme si les concepteurs avaient forcé sur la saccharine pour en faire toujours plus.
Faut-il en déduire que FFTA 2 n’est qu’une fascinante orgie de trash-food, un coupable gavage ? Pas vraiment, car il offre au joueur un bac à sable, une boîte de feutres ou de joujoux qui lui permet d’exprimer une forme de créativité fantasmatique. En forgeant son équipe, on se raconte une histoire héroïque, qui permet d’oublier la niaiserie assumée de la narration. Que tout cela soit creux et donne des caries, qu’importe : à tout moment on nous promène dans le nouveau, et il est bon de se laisser aller à la battue du désir, toute artificielle soit-elle. Dans le fourmillement de quêtes plus ou moins optionnelles, on perdra longuement son temps, en manipulant ses petits figurines de combattants qu’on se plaira à attifer d’épées enflammées, de baguettes magiques, et de casques étincelants. Entre retour en enfance doucereux et obsession de l’efficacité, FFTA 2 est un produit éminemment consommable.