La révolution des jeux à détecteurs de mouvements n’a pas eu lieu, et celle de la réalité virtuelle est encore un chantier au succès flou. Dans le creux de la vague, alors que le monde entier est revenu jouer sur console, ordinateur ou ne jure plus que par le mobile, Harmonix, auteur des mythiques Guitar Hero, Rock Band ou Dance Central, s’en tient à son crédo (du jeu musical) et sort Fantasia: Music Evolved, ce qui est arrivé de mieux à Kinect depuis que Microsoft a voulu imiter Nintendo. Collaboration avec Disney revisitant en accéléré pour le réinventer le célèbre musical animé de Mickey, le jeu est, parmi tous les rhythm game connus, l’un des plus stimulants. Quoique brouillon par endroits (un double tutorial un peu confus, une navigation parfois opaque), Fantasia réussit autant à revitaliser le détecteur de mouvements, qui n’a jamais été aussi finement utilisé, qu’à finir de peaufiner ce qu’Harmonix n’avait laissé apparaitre que par touches : donner au joueur la possibilité de laisser son empreinte sur la musique.
Dans un univers mêlant ainsi celui du film et des décors variés sans rapport aucun avec les morceaux joués (des standards pop et du classique pour pas trop dénaturer), Fantasia propose d’être devant Kinect un apprenti sorcier du son. Pensé entièrement autour de gestes et de lumières qu’il faut balayer, pousser, tenir, parfois tout ça en même temps et à une vitesse folle, le jeu dépasse la simple question de timing – même si l’essentiel du gameplay se tient là. En proposant de moduler les morceaux, non seulement en faisant varier les instruments (dès le lancement lorsqu’il est rejoué), mais aussi en permettant d’ajouter à la composition différents types de boucles (samples, musique, instruments), le jeu offre enfin ce qui manquait à la plupart de ceux du genre : ne plus simplement mimer une rythmique avec l’illusion d’un instrument, mais agir sur la musique, jusqu’à transformer intégralement son orchestration. Chaque titre, que ce soit « Blue Monday » de New Order, « Rocket Man » d’Elton John ou « Les Quatre saisons » de Vivaldi, se voit ainsi remixé par un joueur magicien jonglant (physiquement) avec les pistes, sans que l’ensemble ne tourne jamais à la cacophonie. A la fois jeu, avec des objectifs à remplir, du scoring, une courbe de difficulté monstre (ce n’est pas parce qu’Harmonix signe chez Disney qu’il baisse ses exigences), Fantasia est aussi une véritable expérience de création musicale.
Difficile de savoir à qui s’adresse le jeu : la bannière Mickey annonce un jeu familial quand son exigence se révèle bien au-dessus des standards ordinaires (comme peuvent l’être aussi Rock Band ou Dance Central ceci-dit, impénétrables dans leurs niveaux pour joueurs mutants), mais Harmonix réussit à dépasser son propre système et tient là de l’or entre les mains. En affinant le concept, on rêverait de le voir adapté à d’autres univers, d’autres styles musicaux (les possibilités sont quasi vertigneuses), ou bien que les américains signent une collaboration avec Tetsuya Mizuguchi (Rez) et on ne sait quel DJ de pointe. Seule ironie de la situation, Microsoft s’est décidé à ne plus vendre systématiquement sa Xbox One avec Kinect. Si Fantasia est alors le dernier jeu malin d’un outil dont ne veulent plus les développeurs (et que le constructeur va devoir tuer), il sera alors à coup sûr son chant du cygne. Son chef d’oeuvre.