Tiendrait-on là un jubilée ? Bien que rien n’ait été annoncé officiellement par sieur Molyneux (lire notre entretien), ce Fable III s’articule comme probable bilan correctif des ambitions (délirantes) émises par le créateur il y a six ans de cela. Correctif, car le jeu délaisse finalement ses ultimes résidus rôlesques pour sa vocation réelle : se poser comme LA référence du jeu d’aventure selon Microsoft. Car, si le royaume d’Albion s’étoffe de quelques décors supplémentaires, nul espoir d’attendre une quelconque ébauche d’open-world, Molyneux ayant définitivement résilié son abonnement sand-box depuis l’expérience Black & white.
C’est sans doute l’aspect le plus décourageant de ce nouvel opus, tant la franchise semble se satisfaire de ses marottes de Zelda-like. Pour ce qui est de l’élémentaire, rien ou presque (interface plus incarnée, mais superficielle), n’a évolué: combats (trois touches = trois attaques et basta), et interactions avec le monde artificiel sont tristement sclérosés par l’accessibilité voulue à tout prix par Molyneux. Parallèlement, la dimension sociale reste figée dans une caricature de jeu de gestion. Les règles commerciales et immobilières restent réduites à un capitalisme balourd, tout comme le simulateur de relations amicales et matrimoniales, déphasé, ressemblant piteusement à du Facebook réac sauce Sims : se faire des amis en quelques clics, procréer avec sa(son) conjoint(e) en lui tenant la main jusqu’au lit conjugal, etc.
Mais il serait précipité de crier au scandale de redite. Habituellement laissée de côté, la donne scénaristique, par structure binaire, sauve l’entreprise du marasme. Il faut attendre la moitié du jeu pour comprendre l’enjeu d’une mise en bouche (trop) temporisatrice. Les deux premiers épisodes évoquaient la structure d’un conte initiatique ou d’un roman de chevalerie. Ici, Lionhead accorde enfin à son épopée une traverse vers la noirceur d’une chronique révolutionnaire, en plaçant l’avatar comme chef de file d’un haro contre le pouvoir tyrannique en place. Le level design, lui-même, s’autorise une esthétique contrastée. Parvenu à l’âge industriel, Albion délaisse sa préciosité fantasy pour une imagerie fog gothique londonien, dont l’intrusion marlou gratifie l’environnement de cloaques sociaux et de coupe-gorges bienvenus. Scindée en deux, l’évolution scénaristique joue habilement, à ses prémisses (à chaque chapitre, un notable à enrôler pour lever une armée), d’une montée de sève contestataire. Si la première partie joue classiquement du canevas de conquête du pouvoir, le jeu a la bonne idée de ne pas se cantonner à un happy end de conte féérique. Sommé de penser subito en monarque stratège, le joueur décide de remplir, ou non, les promesses faites aux mercenaires qui ont joint leurs forces au coup d’Etat. Les choix abordés vampirisent ceux d’un jeu de gestion lambda mais s’inspirent finement des marottes politiciennes actuelles : résorber le problème du crédit, allouer des finances au savoir académique, prôner une politique environnementale ou de rendement industriel frénétique, etc.
Mais cette fameuse perversité « molyneusienne » du libre arbitre – obsession que l’on croyait devenue arlésienne – ne prend un sens tangible qu’avec sa prophétie finale, qu’il serait vain de dévoiler ici. Disons simplement que Fable III offre enfin cette double articulation jouissive du dilemme : assumer la vocation de monarque humaniste (mais dépensier, tout progrès étant coûteux) ou d’Ubu roi conservateur (mais d’un pragmatisme prévoyant). Si cette proposition demeure réduite à un concept expérimental et non à une proposition inédite de gameplay, elle s’allie heureusement au fantasme transgenre de la saga. Celui de mêler accessibilité grand public, trouvant ici un nouvel élan avec le mode coopératif, avec possibilité de rivaliser de mode vestimentaire ou de copuler entre avatars (les Sims encore), et cultures parallèles : l’humour flegmatique de l’écriture à la Pratchett, très en forme dans cet épisode, les livres « dont vous êtes le héros », le bestiaire de RPG, etc.
Certes, le degré d’exigence reste irritant de facilité mais il faut concéder à cet épisode la plus belle mise en abyme de ses ambitions. Dans une quête, le héros se voit demander, par trois ados encapuchonnés, d’avaler une potion rétrécissante pour incarner le protagoniste de leur jeu de rôle sur plateau. En voyant déambuler le personnage dans un décor carton-pâte, on se dit que, peut-être c’est ça Fable, finalement : un RPG esprit Mattel, dont les mécanismes simplistes renvoient à l’émoi des premiers Donjons & dragons entre potes.