En 2004 sortait sur Xbox Fable, un RPG d’action grand public qui allait devenir une des licences exclusives de Microsoft les plus ambitieuses. Mais le jeu a reçu un accueil plutôt mitigé, victime des annonces dithyrambiques de Peter Molyneux qui promettait aux joueurs un jeu d’aventure révolutionnaire avec une liberté de choix sans précédent et une profondeur de gameplay infinie. Évidemment, la promesse n’a pas vraiment été tenue et le décalage entre l’attente et le résultat final a quelque peu altéré l’appréciation du public et de la presse. Dix ans plus tard, après avoir connu deux suites (en 2007 et 2010), Fable revient plus sereinement sous forme de remix HD pour Xbox 360 : Fable Anniversary. Ce nom évocateur énonce clairement l’intention de célébrer une saga qui se croit peut-être plus culte qu’elle ne l’est mais qui reste néanmoins attachante dans ses ambitions (sans être toujours à la hauteur) et dans sa façon de prendre les codes de l’heroic fantasy à revers.
L’histoire, par exemple, n’est qu’un énième décalque des récits médiévaux : un jeune villageois du pays d’Albion, recueilli par une guilde de chevaliers-enchanteurs après le massacre de sa famille, va devenir le héros d’une prophétie qui le conduira à affronter son ennemi juré, etc. En dressant une mythologie solide mais qui ne se démarque pas tellement du tout venant du jeu vidéo, Fable tente surtout d’en reprendre les articulations les plus convenues pour mieux creuser son ambivalence. Car la quête solennelle du héros est ponctuée de moments de pauses et de missions secondaires moins nobles que le joueur pourra régler à sa guise et qui permettent, comme dans tous les RPG, d’améliorer les capacités du personnage. Le monde décrit dans Fable prend véritablement vie durant ces phases quand, loin des grands desseins héroïques, les petites histoire banales, les querelles familiales et les faits divers sordides ramènent Albion et ses habitants à leur dimension humaine, à la fois touchante et médiocre. Le grand atout de la saga est de se situer plutôt du côté de l’ironie de Pratchet que de la pompe de Tolkien, posant une distance avec son univers, non pas pour s’en moquer, mais pour montrer sa face ordinaire et le rendre plus concret.
L’éternel credo de la série : choisir de se placer du côté du bien ou du mal pour évoluer dans le jeu, n’est alors pas tant un questionnement moral (forcément limité) soumis au joueur qu’une façon d’inscrire le personnage dans cet univers. Ici, le héros ne cultive pas que son statut mais aussi son intimité, le jeu d’aventure se doublant d’une simulation de vie assez light mais bien présente (et mieux développée dans les volets suivants), avec la possibilité, entre autres, de se marier à une femme ou un homme mais aussi de se travestir et tapiner dans un bordel. Dans l’absolu, ce genre d’action, plus fun qu’autre chose, ne change pas grand chose à l’expérience de jeu mais dessine en filigrane une dimension rare dans ce genre d’histoire : l’envers du décor, ce que cachent les légendes. Un peu comme si on révélait les penchants SM de Link ou les pulsions exhibitionnistes de Bilbo, le héros est rattrapé par sa part triviale d’humanité et devient ainsi un véritable sujet d’identification plutôt qu’un avatar abstrait. C’est là que les choix binaires qui parsèment la progression, et qui ont tant déçu à l’époque, prennent leur ampleur. L’enjeu n’est pas de se déterminer une moralité mais de ne pas céder à la question : « et qu’est-ce qui se passerait si ? » qui anime tous les joueurs et qui fait le succès des jeux bac à sable (qui a joué à GTA sans jamais provoquer un flic ?). C’est la seule vraie difficulté du jeu qui est par ailleurs assez facile, et il suffit d’affronter le regard désapprobateur du maître de la guilde, mentor du héros, après avoir choisi la mauvaise option à la toute fin (moment furtif très réussi), pour se rendre compte que la quête d’héroïsme, dans le fond, a échoué.
Difficile, pour finir, de ne pas parler du portage HD assez problématique ici, au point de gâcher un peu l’ambiance. La Xbox 360, plus que jamais en bout de course (ça plante régulièrement), tarde parfois à afficher les textures correctement, redonnant subrepticement au jeu son visuel d’antan comme si le vieux Fable resurgissait spectralement. La refonte graphique et sonore a beau être très réussie, elle n’en dissimule pas moins le jeu d’origine. D’autant plus qu’à de belles images HD le joueur associe par habitude des mécaniques de gameplay bien huilées et, de ce point de vue, Fable Anniversary est loin d’être au point avec sa caméra foireuse ou son système de lock qui patine. Les mêmes défauts sur une console 128 bits ne sont pas si gênants mais en 2014, certaines circonstances ne sont tout simplement plus atténuantes.