« Agents are go ! » : traduction japonais-anglais niveau 6ème… Autocensure culturelle, re-calibrage du niveau de difficulté (les Metal gear solid et leur fameux mode « european extreme »), nous ne mesurons que rarement les avantages des aléas de la localisation. Plus industrieuse que la traduction littéraire et plus complexe que le doublage de films, la localisation de jeux vidéo est un art de la bonne trahison. Une nouvelle preuve que les jeux vidéo ont peut-être plus à perdre qu’à gagner en étant considérés comme des oeuvres à respecter. Pourquoi nier le plaisir narquois d’assister à un beau massacre ? Pourquoi refuser les vertus enrichissantes d’une si grande liberté prise avec le matériau d’origine?
Elite beat agents fera certainement date dans l’histoire de la localisation comme le premier jeu qui partage moins de contenu avec le jeu dont il est l’adaptation (Oendan 1) qu’avec sa suite (Oendan 2). A l’instar de Phoenix Wright, Oendan fait partie de ces titres DS dont les chiffres de ventes, au départ modestes, se sont vus gonflés mois après mois par la force d’un bouche à oreille extatique. Le studio Inis, déjà responsable de Gitaroo man propose ici un gameplay exclusivement tactile où il s’agit de tapoter en rythme, avec le stylet, sur des séries de pastilles, ou tracer des courbes sur des tracés pré-définis. Le joueur incarne les Elite beat agents/Oendan, des sortes de SOS Amitié encourageant par des chorégraphies stimulantes des individus lambda à venir à bout des vicissitudes de l’existence. Quelques coups de stylet hors tempo et le morceau s’interrompt, nos dancing kings s’effondrent et abandonnent le pauvre hère à son triste sort.
Ca c’est pour le principe de base. Mais qu’est ce qui différencie Oendan 2 de sa déclinaison occidentale Elite beat agents ? En premier lieu, la qualité de sa playlist. « Oendan, c’est le jeu tellement fédérateur sur son principe qu’il te fait aimer de la pop jap insupportable en temps normal« , a-t-on pu lire sur un forum. Une petite phrase qui résume bien le choc culturel et musical provoqué par le premier Oendan. Deux ans plus tard, avec une playlist à nouveau 100% nippone qui oscille entre pop-rock, rap, variétoche et heavy metal, difficile de voir dans ce Oendan 2 le souci d’une ouverture réelle. Forcément, en comparaison l’effet compile de mariage de Elite beat agents lui assure auprès des joueurs occidentaux un capital sympathie autrement supérieur. Du rock jeuniste de Good Charlotte ou Avril Lavigne, des tubes préhistoriques de Bowie, des Rolling Stones ou des Jackson Five, la playlist de Elite beat agents compense en variété ce qu’elle perd en pertinence (tout l’inverse de la playlist de Guitar hero, en somme).
Fracture culturelle encore : les groupes de soutien (phénomène typiquement japonais et difficilement exportable) dans leur beaux uniformes scolaires qui se sont transformés dans Elite beat agents en men in black funky. Quant aux quidams en détresse, du petit garçon incontinent à l’apprenti sumotori flippé, ils ont bien sûr été remplacés par des stéréotypes yankee plus évocateurs.
Il y avait d’ailleurs fort à craindre de cette localisation « Canada Dry ». Et pourtant, on reconnaît instantanément la pâte du studio Inis. Mieux : l’occident vu par le studio japonais se transforme en film à sketchs, drôle et crétin, où sont convoqués pour un caméo le chauffeur des films Taxi, Peter Jackson, Paris Hilton, Mars attacks, Leonard de Vinci, entre autres guests. En fait de localisation, à part le système de jeu et l’idée d’une agence de héros cheerleaders, il ne reste pas grand chose de Oendan dans Elite beat agents. Ironie du sort, les deux Oendan sont si proches que Oendan 2 fait figure d’add-on velléitaire et tristounet. Elite beat agents, à l’inverse, possède toutes les caractéristiques d’une vraie suite. Mais tandis que Oendan / Elite beat agents s’offre au monde comme le plus passionnant rythm game depuis Guitar hero et un incontournable absolu sur Nintendo DS, l’étrangeté de sa localisation peut paraitre bien dérisoire. Et puis en pleine ère du remake vénal et du portage de sagouin, qui pourra blâmer Inis d’avoir produit, par excès de zèle, une authentique suite ?