Avec Dead Island, Techland tentait le combo, aussi inédit que bancal, entre FPM (First Person Melee), RPG, série Z zombie et decorum tropical. Si le résultat ne manquait pas de charme par sa juxtaposition d’éléments et d’ambiances contradictoires, il se vautrait aussi dans de nombreux abus du jeu rôlistes (quêtes secondaires et loot en surrégime, dilution de la narration en monde ouvert) qui l’achevaient sur la longueur. Même s’il reste son héritier spirituel, Dying Light n’a rien d’un Dead Island bis, tant il le surpasse sur certains points. En profiter nécessite cependant une certaine marge de tolérance. Pour cela, il faut faire son deuil anticipé d’un scénario original et cohérent, et ne se focaliser que sur son gameplay et ses variables, les considérer comme une fin en soi. Malgré un scénario plus « complexe » (un espion chargé d’infiltrer un Zombieland sous quarantaine), le postulat reste identique à Dead Island : une ville fantôme grouillant de hordes cannibales, des communautés de survivants et de pillards qu’il faut apprivoiser en jouant les samaritains de service, des combats qui font la part belle au corps à corps, la collectionnite et le craft d’armes blanches toujours plus dévastatrices.
Mais là où Techland innove, c’est dans sa conception du terrain de jeu, qui possède cette fois-ci une autonomie propre. Un espace nommé Harran, fiction urbaine singeant ça et là des architectures opposées (une partie moderne peuplé de buildings et bidonville à la brésilienne, un centre historique aux placettes et minarets invoquant l’influence stambouliote) sans autre impératif (le réalisme notamment), que d’offrir le terrain de jeu idéal. Une pure ville de jeu vidéo donc, qui se permet tous les excès et toutes les verticalités, dans le seul but de satisfaire son gameplay principal, et inédit lui aussi : l’exploration en Parkour. En reprenant Mirror’s Edge à son compte, Techland se découvre une symbiose parfaite entre sa mobilité expérimentale et son open-world. Rarement a-t-on vu, depuis Dishonored, un espace aussi bien calibré pour l’improvisation, le quadrillage tactique, et le plaisir qui peut découler des deux. Mais surtout, Techland a su concrétiser l’idée, géniale sur le papier mais respectée à moitié dans la pratique, d’une ville qui, quand elle change de cadre horaire, change non seulement d’apparence et de faune, mais bascule littéralement d’un jeu à l’autre.
De jour, la ville laisse l’ascendant au joueur, lui permettant d’explorer librement ses quartiers, débloquer les « planques » (checkpoints faisant aussi office de dortoir pour passer de nuit), et remplir la plupart des quêtes scénarisées. Bien qu’efficace à petite dose mais clairement dominante sur le temps de jeu, cette partie est en fait révélatrice de tous ses points faibles : des combats brouillons, directifs (beaucoup de QTE) et trop nombreux, une narration branlante, dont le scénario principal, très clicheteux, se voit écrasé sous une tonne de missions secondaires inutiles. A part quelques séquences chocs, qui mélangent habilement Parkour et course contre la montre, cette phase diurne pousserait presque à croire que Techland n’a rien appris des reproches faits à Dead Island en son temps.
Heureusement, toute cette déception s’évapore, une fois la nuit tombée. Un envers temporel, atmosphérique même (du jeu d’aventure, on passe au survival horror), mais surtout de gameplay qui laisse suffisamment de liberté à Dying Light pour trouver son identité originale. Mutant en furies véloces et quasi-invincibles, sensibles au moindre bruit de travers, les zombies prennent alors le contrôle de la ville, et le jeu de son visiteur. Jouabilité, règles de survie, attaque et défense, tout s’inverse : les lampes UV (qui coupent l’ennemi dans sa course en l’assommant quelques secondes) remplacent les armes létales, l’action fait place à l’infiltration, le gameplay de Parkour, outil supposément libertaire et tactique, devient un muscle instinctif et aveugle, soumis au seul impératif de rester entier. Autrefois quadrillé, l’espace devient une jungle sauvage et occulte, qui transforme le chasseur en proie.
Il est alors fascinant de voir à quel point le jeu balaie d’un revers tous ses préceptes tactiques et rôlistes, pour la seule tension d’une action primaire sous adrénaline, qu’il soutient sans temps mort. Encore mieux, il permet aussi, dans un pur esprit à la Dark Souls, d’envahir la partie d’un autre joueur, ou de se faire envahir la sienne par un zombie chasseur évolué, et d’organiser des chasses à l’homme encore plus soutenues et, de fait, éprouvantes. Tout cela fait-il un jeu pour autant ? Alourdi de trop de défauts, Dying Light ne signe pas une révolution du jeu zombie. Mais il prouve au moins que ce genre n’a pas forcément besoin d’ambition narrative (il le laisse volontiers à Telltale), pour atteindre une autre forme de plénitude. Cette plénitude, Dying Light l’a trouve en balisant de fond en comble une frange qui n’est souvent qu’effleurée par d’autres (on pense notamment à Left 4 Dead) mais qui fait pourtant partie intégrante d’un cahier de charges zombie : cet art de la fuite, imposée face à l’inexorable mort en marche et ses légions.