L’origine de Dungeon of the Endless gagne à être partagée : lors d’une soirée un peu arrosée dans les locaux d’Amplitude Studios, certains de ses développeurs, alors accros à Faster than Light, auraient passé la nuit à fantasmer un projet de rogue-like spatial sur un coin de table. Quelques jours plus tard, le premier prototype de Dungeon of the Endless voit le jour et son développement est illico mis en chantier. Même si le jeu est assumé comme un (heureux) accident par le studio, il n’a rien d’une récréation. Après Endless Space, premier coup d’éclat catapultant les français d’Amplitude sur le devant de la nouvelle scène stratégique, et Endless Legend, remarquable 4X civilisationnel sorti le mois dernier, Dungeon of the Endless fait même office de liant parfait entre les deux, ne serait-ce que pour résumer l’habilité du studio à sublimer, et pervertir aussi, chaque niche de stratégie qu’il revisite.
Comme souvent : un concept limpide en apparence, mais de plus en plus retors. Soit un groupe d’aventuriers (customisable et cumulable à 4 personnages/joueurs) qui doit cheminer à travers 12 donjons, composés aléatoirement de différentes salles. A chaque salle découverte sa situation : des ennemis à terrasser, du loot à se répartir, ou l’opportunité d’y placer un collecteur de ressources ou un moyen de défense. Si les ressources servent au ravitaillement ou à la recherche de nouveaux armement, le groupe est aussi limité en énergie, qu’il doit répartir sur ses salles ouvertes. L’énergie permet, en plus d’alimenter les défenses, d’éclairer la salle même, pour se prémunir de l’assaut de monstres, qui n’apparaissent que dans l’obscurité. Une fois la sortie trouvée, le groupe doit alors y acheminer un énorme diamant, tout en défendant son précieux des assauts ennemis. Le tout, bien entendu, sans prendre une minute de pause.
Ce qui marque avec Dungeon of the Endless, c’est d’abord son aisance à jongler avec les genres (rogue like, RPG, tower defense) sans jamais les dénaturer, tout en les soumettant à une pression, très arcade, du scoring et du temps limité. En perpétuel état de siège, la gestion du groupe est sans cesse tiraillée entre temporisation stratégique et urgence d’exploration. S’il ne s’apprend qu’au prix d’un grand nombre d’échecs (rogue-like oblige), cet équilibre se révèle la seule arme de résistance pour contrer le malin plaisir qu’a le jeu à nous asphyxier de ses assauts.
Si Dungeon of the Endless fonctionne aussi efficacement, c’est aussi parce qu’il sait exploiter ce sentiment primaire, et pourtant essentiel au rogue-like : l’appréhension que chacun peut avoir dans un jeu vidéo devant une porte fermée. Chaque seuil est un champ aveugle, cachant soit le pire danger, soit le dernier espoir (marchand, nouveau compagnon à recruter), le fantasme de franchissement et d’accomplissement, comme la peur d’aller trop loin. Une mécanique émotionnelle qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle du jeu d’horreur (on se souvient des fameuses portes/temps de chargement de Resident Evil). A partir de ce simple postulat, le jeu multiplie sa difficulté en multipliant simplement le nombre de portes à chaque carrefour, comme autant de probabilités de s’enrichir et d’évoluer que de se faire avoir par gourmandise. Mais cette peur, Dungeon of the Endless l’a dédramatise totalement, par son enrobage pixel-art et humoristique, mais aussi par sa dimension compétitive contre l’IA. Son secret derrière la porte a beau être source de stress, il n’est qu’une partie de poker de plus en plus éprouvante, entre l’humain et la machine. Une partie de poker où seule la machine a le don de bluff.