A l’heure où le jeu vidéo se cherche laborieusement de nouveaux élans de vitalité, le dernier né de Blizzard se tient là, comme une tâche gênante dans un paysage progressiste. Non pas que Diablo III soit mal fagoté. Au contraire, le jeu est splendide. Chaque texture, chaque profondeur de champs, chaque animation consacrent la générosité d’un artisanat maniaque. Son mal, plus insidieux, ne tient pas à la seule nonchalance de son éditeur, incapable de lancer son jeu proprement après une longue période de reports. Ni à son obligation scandaleuse de connexion permanente, cerbère inutile aux dommages collatéraux insupportables (échecs de connexions, ralentissements en solo). Pas plus qu’au bonus de Blizzard sur son « Autel des ventes », récupération douteuse du gold farming, phénomène autrefois clandestin, qui se voit aujourd’hui institutionnalisé comme une logique de profit à se faire sur le dos des joueurs.
L’échec de Diablo III se vit presque comme un coup dur, comme un état des lieux dépressif du genre, dont il se fait le VRP accidentel. En diluant son identité dans l’attraction grand public (difficulté inexistante sur les 20 premières heures) et l’obéissance aveugle au hack’n slash, le jeu semble largué, presque impuissant devant l’évolution des autres fleurons dark fantasy (au hasard : Torchlight, Dark souls). L’enjeu ne tient plus au risque de mortalité, il a confortablement dévié vers son socle utilitaire. La course à l’armement et la collectionnite aigue ont pris le pas, conditionnant de nouvelles formes de dépassement de soi voire de distinction sociale sur la communauté (commerciale dans le cas de l’Autel des ventes). Dénoncer Diablo comme un empire cynique du looting relèverait certes d’une tautologie vaine, tant sa popularité historique s’est précisément construite sur cet art de chasse au trésor. Triste constat pourtant, de voir une suite, autant mythifiée par d’interminables campagnes de com, se contenter d’une simple mise à jour esthétique sans autre forme d’innovation. Le filtre a beau marcher, il ne cache qu’un temps sa crainte inavouée d’une prise de risque. Le scénario, la caractérisation RPG, l’immersion épique : tout se voit édulcorer à l’état de prétexte devant l’avantage du stoïcisme, justifié par le seul contentement du fan. Dépouiller tout ce qui bouge, marteler souris et clavier, laisser réflexion au placard : le message est limpide.
Face à cet engouement forcé du jeu lui même, trop soucieux d’imposer sa qualité par la seule nostalgie de son héritage, on ne peut que s’incliner devant la puissance du consensus mou. Mais celui-ci pourra brasser autant d’air qu’il le veut, son écho ne résonnera jamais plus loin qu’un vulgaire cliquetis, répété ad nauseam.