Comment se réinventer quand on a créé Halo ? Après tout, le Master Chief a non seulement contribué à redéfinir un genre entier tout en mettant en orbite Microsoft sur le marché des consoles. Sans tergiverser, ni dévier vers une exploration conceptuelle de leur surmoi, Bungie ont répondu à cette question tout simplement, avec Destiny. Un titre somme qui regroupe toutes les obsessions du studio (FPS, Mythic Science Fiction…) compressées dans un système de jeu tout autant laboratoire de nouvelles idées que digne héritier d’un prestigieux passé.
Destiny est d’ailleurs difficile à cerner au premier coup d’œil. C’est probablement la raison pour laquelle il est assez largement considéré comme un MMOFPS ou, au moins, comme un Borderlands-like. Il n’est ni l’un ni l’autre. Quelques similitudes çà-et-là ne sont pas des arguments suffisants pour justifier des associations faciles et à l’emporte pièce. La structure est différente. S’il fallait à tout prix l’expliquer, il serait plus juste de présenter Destiny comme une hybridation entre le mythique Phantasy Star Online de la Dreamcast et le légendaire Halo. Il offre le même type d’expériences compactes, intenses et resserrées.
Il ne s’agit donc pas vraiment d’évoluer dans un immense monde persistant mais plutôt de prendre part à des expéditions de chasse en territoires hostiles puis de revenir au QG pour récolter les récompenses et préparer la prochaine opération. Pour justifier ce découpage, le scénario nous dépeint une planète Terre à l’agonie et une humanité proche de l’extinction, retranchée dans une immense cité fortifiée et protégée par les Gardiens. Ils peuvent, en solo ou regroupés en Fireteam, accéder aux missions scénarisées du mode Story, aux patrouilles d’exploration libres, aux assauts ou encore aux raids (ces deux dernières disciplines nécessitent obligatoirement plusieurs joueurs), sans oublier les multiples modes PvP et leurs douces réminiscences Haloienne. Bungie oblige, la narration est décousue, l’histoire se racontant plus par l’univers et les décors que par la mise en scène. Celle-ci manque d’envergure et, malgré quelques beaux moments, peine à poser le contexte. En revanche, la direction artistique prendra aux tripes n’importe quel amateur de science fiction avec ses relents 70’s, ou les vistas magnifiques de notre Lune. McQuarrie ou Syd Mead ne sont pas très loin.
Destiny ne s’appuie pas non plus sur une course effrénée à la puissance (en PvP par exemple, le «level » ne compte pas), ni sur un loot hystérique : pas question de ramasser deux cents armes par heure, ni de passer son temps à ouvrir des coffres. Et si les drop d’item sont aléatoires, ils sont également limités et n’interviennent que ponctuellement. Ainsi chaque nouvelle trouvaille prend un réel sens, chaque arme ou pièce d’armure sont extensiblement utilisées avant d’être remplacées par des outils plus performants. Ainsi, au fur et à mesure des parties, on se met à apprécier de plus en plus la subtilité des mécaniques de jeu, l’équilibrage quasi-parfait des armes, les bonus passifs des pièces d’armures… Tous ces éléments qui, additionnés, permettent d’être un combattant plus efficace.
Derrière sa structure RPG et ses mécaniques de leveling complexes (standards jusqu’au niveau 20, incroyablement sophistiquées après ce cap), Destiny est un jeu basé avant tout sur l’aptitude du joueur à le comprendre de l’intérieur, de l’apprendre puis d’en exploiter les possibilités, pour arriver finalement à ce niveau de maîtrise supérieure que l’on qualifie de « skill » dans notre jargon. Pour cela, il s’appuie sur trois classes : l’agile Hunter de type reconnaissance, furtif et absolument létal à distance. Le Warlock, mage futuriste aux pouvoirs dévastateurs et aux capacités de récupération dignes de Wolverine. Et enfin, le Titan (très similaire aux Spartan de Halo : Reach) qui fait office de tank et qui peut être développé aussi bien de manière offensive que défensive. Chacune de ces classes possède deux arbres distincts à développer mais attention ! Le second n’est disponible qu’à partir du level 15 et nécessite de repartir à zéro en terme de leveling (on garde toutefois toutes les évolutions opérées sur le premier arbre et on peut y revenir à tout moment). Lorsqu’on atteint le précieux niveau 20, le jeu dévoile toute sa richesse et la progression s’articule autour de l’obtention de pièces d’armures rares, légendaires ou exotiques qu’il faut nécessairement améliorer grâce à des ressources trouvables sur les différents terrains de chasse (la Terre, la Lune, Vénus ou Mars) ou en accumulant des jetons et autres artefacts via des missions spécifiques comme les Assauts, les Raids ou le PvP. Il faut donc nécessairement réfléchir chaque étape de l’évolution de son avatar, exploiter chacune des armes ou armures à disposition pour affronter des ennemis toujours plus puissants.
Destiny, comme Halo auparavant, met le combat (plus spécifiquement le gunfight) au centre de ses préoccupations. Là où le genre se contente trop souvent de n’offrir au joueur qu’une longue course à travers des niveaux longilignes remplis d’ennemis suicidaires, Destiny envisage chaque aire de jeu comme autant d’endroits propices à d’intenses échanges armés contre une IA bagarreuse. Si elle n’a pas la finesse des Covenants, elle n’en reste pas moins retorse, brutale et, parfois, imprévisible. Bien entendu, comme toujours chez Bungie, elle se révèle dans les niveaux de difficulté supérieurs. C’est d’ailleurs comme cela que le jeu doit être pratiqué. Une fois le niveau 20 atteint, chaque mission est accessible avec des modificateurs de difficulté (Heroic Modifiers) ce qui revient à jouer à Halo en Légendaire avec les Crânes activés. Dans cette configuration, les combats sont brutaux et nécessitent un degré d’investissement tactique sans équivalent dans le petit monde du FPS contemporain (Halo excepté évidemment). Sous cet angle, Destiny est une étude des fondamentaux du FPS.
Si, à première vue, l’approche paraît simpliste, il faut se demander alors pour quelles raisons si peu de titres, dans un genre pourtant belliciste par excellence, ont été capables de créer cette alchimie ? Lorsqu’on part en expédition, seul ou à plusieurs (car certaines sections de Destiny sont tout à fait recommandables en solo), on a l’impression de sauter dans l’inconnu, d’affronter des hordes d’ennemis sanguinaires. Alors, on se prépare minutieusement à La Tour, le lobby social et accessoirement le supermarché des Gardiens, on saute dans son vaisseau et on part sur quelques planètes désolées pour accomplir une quelconque quête. Conçus comme une structure multi-joueurs, l’aire de jeu s’articule autour d’une architecture à la fois horizontale et verticale. Il s’agit de lieux dans lesquels chaque classe et chaque spécialisation vont pouvoir s’exprimer librement pour donner leur plein potentiel. Ainsi chaque joueur va concocter ses propres cocktails, trouver ses petites bottes secrètes en s’appropriant l’énorme liberté tactique offerte par le gameplay.
Destiny prend un risque considérable : celui d’être un blockbuster innovant. Dans un secteur spécialisé dans la duplication de concepts, régit par un public papillonnant toujours à l’affût de la prochaine nouveauté, Bungie remet le skill au centre du débat en utilisant une superproduction comme écrin. Ils nous rappellent que c’est avant tout cela un jeu vidéo : comprendre et maîtriser un système de jeu pour espérer atteindre un état de conscience supérieur. Il n’est pas exempt d’aspérités et d’imperfections (respawn parfois mal calibré, manque d’intuitivité de l’inventaire…) mais sa proposition de jeu est si ébouriffante que ça n’a finalement pas beaucoup d’importance. Difficile d’anticiper aujourd’hui, s’il arrivera à durer les fameuses dix années annoncées par Activision. En revanche, je peux affirmer que je ferai partie de l’aventure jusqu’au bout. Bungie m’a convaincu. Encore.