Ce sont de joyeux lurons chez Experience Inc, de fins plaisantins. Tu vas pas le croire, mais dans Demon Gaze, tu joues un amnésique, forcément un garçon, le jeu te le dis d’ailleurs, même si tu choisis pour ton héros un avatar féminin, t’es un gars, qui en a des comme ça, c’est important pour l’histoire. Donc, tu te réveilles dans une auberge et on t’explique que tu es un demon gazer, un mateur de démon, qui a le pouvoir de contrôler les âmes damnées d’un seul regard, pour peu que tu les aies préalablement lattées. Aussi frais qu’impayable !
Attends, ce n’est pas fini, ce sont les as de la gaudriole qui sont aux commandes, on va bien rigoler. Donc dans l’auberge tu as un tas de Lolitas, t’es comme Marcelo dans La Cité des femmes, avec un max de donzelles, ou peut-être plutôt comme dans un film avec Aldo Maccione. Il y en a pour tous les mauvais goûts : la nymphe emo barely pas legal du tout qui se balade en petite culotte, la tenancière de 18 ans aux nibards gaillards qui te demande de tâter la marchandise, la soubrette à oreilles de chat qui renifle les petites culottes de sa patronne, et la guerrière expérimentée, qui a bien 20 ans, un bandeau sur l’œil et un décolleté balafré d’une cicatrice en forme de vagin. La grande grande classe. Bon, il y a aussi le boutiquier elfe nudiste, mais je ne suis pas certain que ce son air queer soit une invitation à dépasser les stéréotypes genrés.
Le plus fort, ce sont les portraits de tes équipières, cambrées, en déshabillés de maille, en jarretières magiques rose bonbon, jeunes bombasses difformes, atteintes de scoliose précoce et de siliconie mammaire aiguë… Ce n’est plus du fétichisme, c’est purement et simplement du machisme (lol que c’est drôle), et les gros beaufus d’Experience Inc ont l’air fiers comme des paons de leurs petits fantasmes rances et de leurs blagues salaces. Ah, c’est pratique pour jouer dans le métro sans passer pour un gros dégueulasse, ces petites scénettes craignos, qu’on peine à écarter du revers de la main d’un « ah tout de même ces japonais », d’autant qu’elles n’ont pas grand chose à voir avec ce qui fait l’intérêt du jeu.
Car oui, sous la bêtise crasse du fanservice, Demon Gaze est un dungeon crawler des plus serviables. Peut-être pas de la trempe de ce qui se fait de mieux dans le genre, n’est pas Atlus (les classieux Persona, SMT : Strange Journey ou Etrian Odyssey) qui veut, mais suffisamment différent pour attirer les amateurs, et assez accessible pour ne pas rebuter les néophytes. Le principe de base est simple, sur le modèle de Wizardry : explorer au tour par tour et en vue subjective des donjons peuplés de monstres, conquérir un certain nombre de points de sauvegarde, et finir par exploser le boss, après bien des revers et un sérieux grind. Mais sur ce modèle éprouvé, les développeurs décidément bien fébriles ont multiplié les systèmes dans une logique un rien baroque. De là l’impression, parfois un peu déroutante, mais pas désagréable, de jouer à un titre expérimental, une sorte de pot-au-feu dans lequel toutes les idées, y compris les plus saugrenues, auraient été jetées, et advienne que pourra. Le plus étonnant étant que cela fonctionne.
Au début, on peut croire que les lolitas se payent la tronche du joueur, puisqu’elles lui confient des missions qui lui paraissent impossibles : aller tatanner des démons surpuissants tapis au fond de labyrinthes mortels, tout en payant quotidiennement un loyer qui augmente sans cesse. Mais on comprend assez vite que le jeu est un faux dur, et à mesure qu’il acquière des repères, le joueur prend les commandes. Il faut dire qu’il a à sa disposition un luxe de possibilités pour faire évoluer ses personnages : meubler leur chambre d’auberge pour leur conférer un bonus d’intelligence ou de vitalité, utiliser l’alchimie afin de renforcer les équipements, ou bien développer les démons que commande le héros et qui lui apportent – avec parcimonie si l’on ne veut pas qu’il se retournent contre lui – une aide précieuse. La clef pour tout cela étant évidemment de farmer les donjons jusqu’à plus d’heure afin de rentabiliser le plus possible chaque journée, et de dégager de conséquents profits. Comme souvent dans le genre, l’aventure tient surtout de l’exercice comptable, mais pourquoi pas quand les chiffres tombent juste ? Ludiquement, on reprochera surtout à Demon Gaze son côté répétitif, puisqu’il est presque impératif d’accumuler l’expérience avant de se confronter aux boss… qui valent certes le déplacement, sans toutefois nous estomaquer par leur originalité.
Au fil de la progression, les donjons se déploient et se complexifient, avec leurs planchers toxiques, leurs passages secrets, leurs cartes tourmentées… et leurs décors bien fauchés, qui placent à nouveau Demon Gaze à quelques distances des derniers Etrian Odyssey. Mais au final, l’attrait du jeu tient peut-être à la richesse du loot, qui nous fera revenir sur nos pas. En effet, chaque point de sauvegarde présent dans le donjon sert à activer une fois par jour un combat, et le joueur peut dépenser des jetons qui lui garantissent d’obtenir un type d’objet particulier : un chapeau, une épée, une hache, ou… une petite culotte. Alors on tente sa chance encore et encore, en espérant obtenir un objet rare ou surpuissant, et l’on est pris dans la spirale infernale, sans même s’en rendre compte.
Nanas à poil et jeu de hasard : Demon Gaze est bien un jeu de beauf, un peu trop crânement fier de lui pour qu’on lui pardonne sa bêtise, et qu’on en fasse un plaisir coupable mais impératif.