Sous ses dehors bourrus, sous ses tatouages Death Row et vingt sept Mercos rutilantes bumpant l’asphalte de leurs amortisseurs chromés, chaque rude boy dissimule un coeur de midinette qu’il éponge abondamment au gré de son skyblog. Comme vous et moi, il retient ses larmes devant Bambi, quand la forêt brûle et que les petits animaux vont finir en civets : « Cours, enculé de Pan Pan, cours ta race maudite ! ». Au bout du compte, et c’est un drame, les aspirations du gangster d’amour ne sont pas si éloignées des réalités de sa petite sœur : ils veulent tous les deux des fringues. Mais notre rappeur, il peut pas, parce que c’est trop la honte. Alors il trompe son ennui dans des Drive-by moroses, du Baileys frelaté et baisse la tête en passant devant Pimkie. Mais sèche tes larmes, ami rappeur ! Tes fantasmes secrets, Electronic Arts se propose de les réaliser sur-le-champ grâce à Def jam : Fight for New York. Il y aura des fringues. Des chaînes, des grosses qui tapent, en platine, en or, même en diamant. Les grosses se pâmeront en te voyant lessiver le parquet avec le corps meurtri de ton adversaire ! Et il y aura de l’amitié, mais pas trop quand même, parce qu’on est pas des pédés, hein ? Hein ? Au secours… Si vous pensiez revaloriser les clichés du rap à la lueur de la dernière production EA, passez votre chemin. Des kilomètres de bitchs viennent cuver leur botox dans des tripots insalubres et mouillent leur culotte à chaque tassement de vertèbre, tout le monde se frappe pour des histoires d’honneur à la con et Sean Paul chante. Pour de vrai. Def jam, c’est DOA Xtreme beach volleyball au pays des B-boys, moitié Barbie, moitié jeu de catch, tout pour la thune.
Vous voilà donc propulsé dans le milieu très fermé du fight club new-yorkais, où deux gangs luttent pour la suprématie d’un business fort lucratif, avec Snoop Dog en Pimp Supreme, seul vrai méchant de l’histoire. Fidèle à la structure du bildungsroman, votre petit coq débute au bas de l’échelle, trop fauché pour faire le plein de bagouzes. Terrassé par un vide existentiel bien compréhensible, il va donc, chemin faisant, fister les plus grandes stars du hip-hop US pour obtenir les fringues qu’il mérite dans une relecture ultracapitaliste de Rocky. Ice T, Busta Rhymes et tous leurs amis fournissent gros son et gros biceps pour le wesh wesh fighter d’EA, qui n’en finit décidément pas de challenger everything, surtout son appétit pour la propriété intellectuelle à dominante djeunz. Problème, et il est de taille : le géant US a cramé toutes ses thunes en licence et oublié de faire un vrai jeu.
Il suffit, pour s’en convaincre, de traverser sans coup férir la terrifiante monotonie du mode solo. Rien à déclarer, sinon quelques greluches qui vous font de l’œil : du début à la fin, on alterne sans broncher shopping et castagne. Exit l’inventivité d’un Tobal II ou la variété sympathique du mode Quest de Soul calibur. Passées quelques joutes à quatre, en tag team ou free for all, les combats se suivent et se ressemblent. Résultat : on s’ennuie ferme. Reste la fièvre acheteuse, chaque victoire débloquant tatouages, baskets et coupes de cheveux censés vous faire gagner les faveurs du public une fois au combat. De même, un système d’XP permet d’améliorer les caractéristiques de votre combattant en passant par le club de gym Henri Rollins… Ceci étant, ne vous attendez pas à des sommets de technicité une fois dans l’arène. Doté d’un système de jeu assez creux, Def jam propose plusieurs styles (catch, kung-fu…) qu’il vous faudra mixer au gré de votre progression sans pour autant disposer d’un large éventail de coups. Il s’autorise tout au plus des contres rudimentaires et un système de super coup ultra-basique. Le petit plus du titre, à savoir une interaction poussée avec l’environnement, apporte un peu de subtilité stratégique mais s’écroule rapidement faute de renouvellement.
Cachant sa pudeur derrière une foultitude de bonus et de modes de jeux qui n’abuseront personne, Def jam fatigue. Même à quatre, en multijoueurs, le titre fait les frais d’un système beaucoup trop light et peine à passionner. Reste l’aura d’un casting impressionnant et une mise en scène gros calibre, avec ce qu’il faut d’hémoglobine pour remplir un peu plus les poches du géant américain. Ne nous leurrons pas, Def jam finira en tête des charts, tout comme ses caméos de choc. Il suffirait pourtant d’une légère transposition pour convaincre son coeur de cible du caractère insipide du titre. Si demain je vous proposais de vous rendre dans un boui-boui Lillois pour voir François Feldman et El Chato se foutre sur la gueule à grands coups de tabourets de bar, tandis que le jukebox hurle L’Aventura à s’en perforer les tympans, vous diriez quoi ? Oui, non ? Réfléchissez-bien les kids, c’est 60 euros l’entrée.