On se demande bien pourquoi près de dix ans plus tard — le dernier volet, Trapt date de la Playstation 2 — Tecmo s’est mis en tête de sortir Deception du donjon où croupissait la série. Certes, les premiers épisodes, datant de la PS1, ont encore quelques admirateurs, mais ce Blood Ties est symptomatique des errements actuels du développeur japonais.
A priori, le principe est plutôt sympathique, pour peu qu’on ne soit pas farouchement opposé aux canons du bis… Le joueur incarne la fille du Diable, Laegrinna, une jeune femme aussi sadique que décolletée, accompagnée de succubes aux gros seins, dans la plus pure tradition de l’exploitation à la Tecmo. Des cohortes d’aventuriers veulent mettre la main sur la diablesse, et celle-ci s’en réjouit, puisque c’est l’occasion de les piéger dans son château, et de les massacrer en déployant un raffinement de tortures : des mâchoires d’acier pour les immobiliser, un coup de pendule pour les projeter vers une chaise électrique, un rocher géant qui les surprend au milieu de l’escalier, un orgue qui leur écrase la tête… Le tout se veut d’autant plus satisfaisant que chaque enchaînement rapporte des points de combo, et que le slapstick des exécutions est supposé nous réjouir. Oh, on s’amuse bien cinq minutes avec chaque nouveau piège, et les différents ennemis nécessitent de varier les stratégies, mais le jeu révèle très vite sa vraie nature : comme le titre l’indique, on nous a leurré (Deception est un faux ami, qui signifie la tromperie), on nous a appâté pour mieux nous faire souffrir, et en réalité le joueur n’est pas le tortionnaire, il est la victime d’un game design proprement médiéval.
Ecartelé par une caméra farouchement retorse, roué par les pics de difficulté, écorché vif par le timing pénible des combos, passé à la douche écossaise, le joueur croupit dans l’ennui et subit les affres de la frustration. Sur PS Vita, le calvaire est particulièrement douloureux. Non que le bourreau soit mal fagoté, il présente plutôt bien sur petit écran, mais les séances de torture n’ont absolument pas été pensées pour la portabilité : les niveaux sont longs, sans possibilité de sauvegarde à moins de les avoir terminés, et c’est parfois plus d’une demi-heure qu’il faudra jeter au cul de basse fosse pour peu qu’on ne parvienne pas à finir la tâche en cours.
Si je tenais un développeur de Tecmo, je ferais peut-être acte de cruauté, par exemple en le forçant à jouer à Orcs Must Die. On peut considérer que l’action tower defense de Robot Entertainment n’est qu’une agréable diversion, la comparaison avec Deception IV est malgré tout assez exemplaire du gouffre qui sépare une certaine production japonaise des standards actuels. En cinq minutes, Orcs Must Die nous a lancé dans le bain, nous a fait massacrer tambour battant une armée de monstres gluants. Le joueur danse, il place ses pièges à la volée, comme il peut, à la diable. Dans Deception IV, le tempo est lent, chaque embûche doit être placée tandis que le temps est figé, on se débat avec l’interface… Ce qui ne serait pas un mal si le jeu offrait une réelle profondeur stratégique, mais ce n’est malheureusement pas le cas, les combos les plus simples sont souvent les plus efficaces… Et la partie en temps réel, qui nécessite de manœuvrer pour positionner des ennemis idiots au bon endroit n’a pas grand intérêt.
Deception IV est un jeu d’une autre époque, un jeu d’avant l’explosion du game design indépendant, du temps où une idée amusante et des nanas à gros seins pouvaient suffire à attirer l’attention du joueur et à créer une série presque culte. On n’éprouvera guère de nostalgie en explorant cette ruine gothique, d’autant que le ticket est au prix fort. La moindre game-jam produit par paquets des jeux plus intéressants, plus fous, plus provocateurs, tandis que le fouet de Tecmo claque dans le vide.