Considérées à raison comme l’âge noir du comics, les années 1990 ont donné naissance à un héros Marvel cristallisant toutes les impasses artistiques de cette période perdue dans l’ultra-violence, les looks criards et le crétinisme : Deadpool. Bien qu’il ne soit pas le personnage le plus fédérateur de l’éditeur, on devine ce qui a motivé le choix de l’adapter en jeu vidéo. Mutant génétiquement modifié pour devenir un super assassin indestructible, il correspond, avec ses katanas et son fusil à pompe, à la formule de base du beat’em-all. Cousin mollasson de Devil May Cry, Deadpool, le jeu, reprend ainsi vaguement des mécaniques de jeux standards, et dispense à peu de frais les développeurs de s’affairer à l’enjeu majeur que posent les super-héros : inventer un gameplay adéquat à leurs superpouvoirs. La difficulté, voire l’absurdité de recaser ces personnages dans des schémas préconçus expliquant l’immense majorité d’échecs de ces licences. Récemment, seuls les Batman : Arkham Asylum de Rocksteady sont parvenus a soutenir pleinement le rapport entre un système de jeu et un super-héros préexistant.
Importe donc ici davantage le ton donné par l’univers pour le moins déjanté de Deadpool. Outre ses capacités guerrières, le larron a l’âge mental d’un pré-pubère bloqué au stade anal et animé par des pulsions masos, son invulnérabilité lui permettant de se comporter comme le jackass ultime. Mais sa grande particularité, son véritable « superpouvoir », vient de sa schizophrénie (durant tout le jeu, il dialogue avec deux voix sorties de nulle part) qui lui confère la conscience d’être un personnage de BD, ce qu’on appelle « le quatrième mur ». Plus un gag qu’une base de réflexion sur les médias, cette faculté est le point névralgique du jeu et autorise High Noon Studios à effectuer de nombreuses sorties de route, mettant en scène leur antihéros dans les situations les plus improbables, oscillant de clin d’œil en clin d’œil, faisant même intervenir d’autres héros X-Men pour les tourner en dérision. A force de martelage, la gaudriole obscène, le gore qui tâche, les références à la culture geek et aux délires mangas arrivent même, avouons-le, à toucher l’ado arriéré qui sommeille en nous.
On aurait pu se contenter de ce jeu d’action brouillon et paresseux sauvé par son humour extrémiste, si le ton comme ultime recours n’était pas qu’un adjuvant artificiel destiné à donner de la saveur à ce qui n’en a pas. Deadpool fait penser à certains films d’animation Dreamworks dont la nullité formelle, sous couvert d’insolence et de parodie, trahit le fond conservateur qui les soutient. Car à trop vouloir en faire, le jeu révèle impitoyablement ses limites, la médiocrité de ses intentions métas ne faisant pas illusion bien longtemps. Quelques passages furtifs et gonflants de gamedesign façon 8-bits et 2D à l’ancienne, qui parsèment le récit pour tenter vainement d’en briser la linéarité, renvoient à un autre jeu d’action barré qui se répandait en hommage au retro-gaming : No More Heroes. Le jeu de Goichi Suda n’était peut-être pas totalement abouti mais ses références aux vieux classiques étaient une manière de s’inscrire dans l’histoire du jeu vidéo, d’articuler un discours autour de cette histoire, de tenter d’en ouvrir l’ère moderne. Dans Deadpool, très loin de ces possibilités dialectiques, elles ne sont que les remords d’une ambition artistique trop vite abandonnée.