Une porte close. Il n’aura fallu plus ou moins à Visceral Games qu’une porte close, à hauteur du genre autant dire une anomalie, un mécanisme disruptif et aberrant pour bouleverser le rail shooter et lui ouvrir des horizons lointains. Qui a fait l’expérience de l’attraction « les dents de la mer » au parc à thèmes Universal Studios a un bon aperçu, hélas, des espoirs à porter sur les adaptations de licence en rail shooter. Même réduction de l’expérience d’une oeuvre à la somme de ses moments forts, même inanité du spectaculaire, même épuisement du sens et des sens pendant un bref tour de manège payé au prix fort. Du coup, c’est naturellement avec la peur au ventre de s’être laisser tenter par un médiocre ersatz (une crainte légitime mais vite neutralisée) que le joueur s’aventure à nouveau, après l’excellent Dead space, sur Aegis VII et le vaisseau l’Ishimura. Lieux déjà parcourus tout le long d’une expérience de jeu solitaire et éprouvante, ayant pour ainsi dire ressuscité le survival horror en 2008.
Situé trois semaines avant les tribulations funestes d’Isaac Clarke, héros du premier épisode, Dead space extraction fait faire l’exact chemin inverse à son joueur et épouse avec une intelligence extraterrestre ses destins de rail shooter et de préquelle à un jeu d’horreur. En vérité, c’est la combinaison de ces deux exigences incompromises qui accouche aujourd’hui d’un jeu parfaitement mutant. Une nouvelle espèce gracieuse dont on ne peut décrypter l’ADN que sous la forme de questions. Comment produire un titre pas trop éloigné, sinon fidèle, à la qualité graphique et à la direction artistique de Dead space sur une console moins puissante ? Faire un rail shooter. Comment, à l’intérieur de ce genre traditionnellement dirigiste et inféodé au scoring, restituer la richesse de jeu de Dead space ? En en adaptant les codes, en incluant le maximum d’élément issu de la proposition de jeu initiale et en utilisant ce déplacement du point de vue (Dead space extraction devient une expérience subjective) à l’avantage d’un autre mode de narration. De la linéarité du rail shooter, Visceral Games ne retient que l’énergie brute, la densité et le goût pour les mises en scène exubérantes.
Au centre de cette remise à plat, la porte close donc. Un tel artifice n’existe pas dans le rail shooter. A l’instar d’une attraction foraine, il faut maintenir le joueur captif du rythme jusqu’à l’hypnose. En tant normal, la porte s’ouvre automatiquement pour emmener par la main le joueur vers une nouvelle grappe d’ennemi. Dans Dead space extraction, la porte attend d’être ouverte quand bien même il n’y a pas d’autre issue. Et dans un même élan, les vraies fausses phases de plate-formes en apesanteur exigent du joueur d’indiquer le prochain point où atterrir alors qu’on ne lui en propose aucun autre. De fait, en cassant la cadence obligatoire propre au genre tout en maintenant le joueur plongé dans l’ambiance visuelle et sonore spatiale et sombre, le jeu réintroduit la peur primale du contexte survival. La porte de Dead space grince avec la même pertinence technique et psychologique que la porte du premier Resident evil. Laisser à la machine le temps d’afficher les prochains décors et infecter l’imagination du joueur sur la nature de l’horreur à venir.
Mais cette porte close répond également à un besoin plus intimement lié aux mécanismes du premier épisode. Tout comme Dead space obligeait son joueur à compter ses munitions et à constamment switcher en temps réel entre ses armes (sans menus figeant par magie les attaques des necromorph), la porte est aussi le seul moment de respiration où la gestion de l’inventaire et l’urgence stratégique permettent d’évacuer la tension provoquée par des affrontements stressants à la mise en scène sournoise. Les armes, nombreuses, sont les mêmes que dans Dead space. Elles s’upgradent et possèdent des tirs alternatifs utiles. Une torche (à recharger régulièrement en secouant la Wiimote) éclaire d’une lueur à peine moins effrayante que l’obscurité la progression du joueur dans des conduits insalubres et l’on retrouve le système de démembrement et de stase, pierre de voûte du gameplay de Dead space. Pour achever de compléter l’exercice de transposition, des phases de soudure ou de barricade viennent se superposer aux assauts ajoutant une variété et une tension supplémentaire.
En continuation de ce parcours quasi sans faute, le changement de perspective d’un scénario chorale, dès le plot twist brillant de son premier chapitre, détourne l’usage convenu de la vue subjective, propre au rail shooter, pour induire le doute dans un scénario à priori connu (Ghosts of Mars et Event horizon en ligne de mire). En plaçant le joueur dans la tête (à la raison déclinante) des quatre personnage successifs de sa narration, Dead space extraction élargit la manière d’appréhender son propre mythe : l’histoire d’un caillou mutagène qui ramène une colonie spatiale à la barbarie. Comme pour doubler cet effort, un digital comic (comprendre une bande dessinée doublée et sommairement animée) de plus d’une heure à débloquer offre un autre regard encore plus riche à travers une mise en scène et un découpage ah hoc, développant dans leur contexte respectifs les intérêts conflictuels des unitologues (l’organisation religieuse au coeur de la catastrophe), des civils et du groupe d’exploitation minière se disputant l’inquiétant monolithe.
Malgré une durée de vie légère (quoique honorable comparée aux canons du genre), Dead space extraction réussit un triple tour de force. Succéder dignement sur Wii et sans trop de concession à un benchmark du jeu d’horreur next-gen. Adapter avec pertinence son gameplay et sa narration à un contexte subjectif aux perspectives narratives d’ordinaire sous exploitées. Et modifier l’ADN du rail shooter en lui offrant son incarnation la plus brutale et sophistiquée à ce jour. Vous voilà prévenus : derrière les portes closes de Visceral Games, l’horreur ludique se prépare à de fascinantes et d’insanes mutations.