Voilà, à force de l’abreuver d’images, de vidéos, d’artworks et de previews, le joueur-internaute finit par fantasmer tout seul. Il a tort : les jeux ne sont que très rarement fidèles aux espoirs les plus fous qu’il suscite. Ce serait trop facile et puis, de toutes façons, ça n’est pas forcément plus mal. Voilà, à force de rêver de Dead Rising, j’ai été pris au piège du Romero-fanboy… Evidemment, avant, il y avait Resident evil… Qui n’est parvenu à retranscrire les sensations oppressantes des meilleurs films de la quadrilogie romerienne que lorsque la série s’est brutalement décidée à abandonner le concept de zombies (Resident evil 4, ses paysans bourrus, ses moines lookés Darth Maul, ses mercenaires atteints de conjonctivite aigüe). Malheureusement, il manquait quelque chose aux Resident evil, et même à tous les jeux qui ont essayé de se frotter au mythe du zombie, survivals plus ou moins foireux, beat’em-all en manque d’inspiration, rail-shooters et FPS bas du front : le surnombre. On ne risque pas grand chose face à deux-trois zombies, même coincé à l’intérieur d’un manoir cossu aux chambres exiguës, même lorsque ces derniers reviennent une seconde fois d’entre les morts et que ça les énerve suffisamment pour qu’ils apprennent à vous pourchasser au pas de course (les crimson heads de REbirth, de belles saloperies).
Le surnombre, ça tombe bien, c’est désormais possible grâce à l’arrivée des consoles next-gen. Le monde des jeux vidéo fonctionnant un peu comme celui des effets spéciaux (si c’est techniquement envisageable, faisons-le tout de suite, même sans réfléchir), vous vous doutez bien que les game-designers ne vont pas se priver de nous faire bouffer de la foule agressive à toutes les sauces, du musô en veux-tu en voilà, du Dynasty warriors sans le brouillard et les textures moches qui vont avec. Mais voilà Dead rising : des dizaines de milliers (!) de morts-vivants affamés, unité de lieu (un centre commercial, tiens, tiens…), unité de temps (72 heures, pas une de plus ou l’hélicopère qui vous a conduit jusqu’à cet enfer repart sans vous). Dans la peau du journaliste Franck, le joueur n’est plus qu’une proie, que même les prises de catch les plus savantes, ou les armes les plus tranchantes ne pourront protéger d’une foule de cannibales de moins en moins lymphatiques au fur et à mesure que le temps passe. Que faire dans un environnement aussi hostile ? A priori, ce qui nous passe par la tête. C’est ce que les concepteurs attendent de nous et c’est précisément l’idée qu’on se faisait du jeu. Le programme : slalomer entre les zombies et / ou les massacrer, rechercher les survivants et les ramener en lieu sûr, ce qui n’est pas une mince affaire, affronter les rednecks de la région qui profitent de la situation pour déchaîner leurs instincts psychotiques, faire quelques photographies bien croustillantes, piller les magasins. Classique, fidèle aux figures qui caractérisent les films du genre, Dead rising aurait pu se contenter d’en être une retranscription vidéoludique scolaire, appliquée, qu’on serait déjà sur le point de hurler au génie – oui, il nous en faut peu. Ou pas. Parce qu’on n’a pas forcément envie qu’un jeu corresponde, de manière très démagogique, à de fausses promesses imaginées de toutes pièces par un public acquis d’avance. Et de ce point de vue là, Dead rising fait très fort. Un jeu qui vous fait les yeux doux pour mieux vous poignarder brutalement dans le dos, avec un sourire démoniaque qui lui déforme les lèvres.
On les connaît les adversaires de Dead rising. Plus grave, on ne peut même pas leur donner complètement tort. C’est vrai, c’est quoi ce jeu qui se permet de poser des balises, des contraintes hallucinantes sur un gameplay qui se destinait plutôt au free-roaming, un gameplay do-it-yourself pépère et libérateur pour génocidaires en herbe ? A peine l’excellente cinématique d’intro terminée, et voilà qu’Otis, le concierge black du mall, commence à vous harceler sur votre portable et à vous bombarder de side-quests, alors que vous êtes au beau milieu d’un fight désespéré contre plusieurs dizaines de goules. Celles-ci n’ayant pas pour habitude d’attendre que vous ayez fini d’envoyer vos SMS avant de faire joujou avec votre appareil intestinal. Ici, c’est un couple de touristes japonais à sauver ; là, c’est une grosse fliquette lesbienne adepte du bondage léthal à neutraliser. Et puis il y a les « cas », les missions principales, qui déboulent sans trop prévenir, sur la base d’un timing dégénéré et qui stoppent net le déroulement de l’intrigue si vous avez le malheur de vous pointer au rendez-vous avec quelques micro-secondes de retard. On ne plaisante pas avec le chronomètre, d’autant qu’un système de sauvegarde psycho-rigide ne laisse aucune place à l’erreur. Une fois la chaîne rompue, il ne vous reste plus qu’à errer, l’âme en peine, dans le centre commercial en attendant le retour de l’hélicoptère. Restent quelques survivants pas très coopératifs, des sous-boss surpuissants, deux ou trois photos marrantes à prendre. Y a-t-il vraiment quelque chose à faire pour passer le temps qui vous reste avant que les 72 heures se soient écoulées, quelque chose qui ne vous donne pas envie de balancer violemment le pad contre le mur ? Grapiller quelques points d’expérience, booster les caractéristiques de votre avatar… Puisque, ô surprise, c’est lorsque Dead rising déroule son générique de fin et sa conclusion, forcément pessimiste et déceptive, que le jeu commence à révéler sa vraie nature et sa structure étrange, façon Un Jour sans fin. Recommencer le jeu en conservant le niveau atteint au bout des 72 heures ouvre alors de nouvelles perspectives, donne de l’assurance et l’espoir d’aligner les différentes tâches qui mènent à la résolution de l’intrigue, pas vraiment à la hauteur de l’investissement demandé, mais qu’importe : chaque nouvelle partie vous rend plus maître du jeu, plus lucide sur ses limites – non, il n’est pas possible de tout faire en une seule session. Et c’est d’autant plus évident que ces trois jours en enfer ne vous prendront pas plus d’une dizaine d’heures réelles de votre vie. Dead rising n’a pas plus de « fin » qu’il n’a de véritable finalité. Faut-il avoir une conception bien étrange de la « liberté » pour imposer au joueur ce parcours du combattant qui ne s’arrêtera que lorsqu’il voudra tout simplement passer à autre chose.
Il ne faut que quelques heures pour considérer Dead rising comme une aberration. Un peu plus pour admirer la logique de sa structure, entièrement vouée au concept pourtant hasardeux de la rejouabilité, l’audace de son gameplay, le courage d’emmener le joueur là où il n’avait pas forcément envie d’aller. Non, Dead rising n’est pas le beat’em-all sympathique et défoulant que semblaient promettre quelques screenshots savamment distillés dans la presse spécialisée avant la sortie du jeu. Plus proche de Michigan : Report from hell ou de Way of the samurai que de Dynasty warriors ou State of emergency, plus réfléchi qu’il n’en a l’air, dernier rempart contre l’accessibilité à n’importe quel prix, Dead rising n’est définitivement pas le jeu sur lequel vous avez fantasmé. Après tout, c’est un peu de votre faute : arrêtez donc un peu de rêver. Jouez.