De son premier stade de vaporware (annoncé depuis 2005), Dead island s’est bâti, en un an, un destin de candidat parfait pour pilori critique. Auréolé d’une attente absurdement enflée par un premier trailer virtuose mais surtout fallacieux (aucune image in-game), le jeu fut espéré dès lors comme concrétisation obligatoire de cette belle ébauche dramatique. Malgré son indéniable talent de bonimenteur en montages parallèles / alternés, Techland se tirait pourtant une balle dans le pied, lui qui ne voulait donner qu’en guise de teasing un préambule émotionnel à sa tragédie. Au-delà de sa hype (involontairement) frauduleuse, Dead island mérite-t-il finalement une attention soutenue ? Sans pour autant donner tort à la levée de boucliers générale – les mêmes qui alimentèrent le buzz, ceci dit -, il serait tout aussi vain de crier à la catastrophe.
Se posant comme alliage fier, quoique bigarré, de l’action-RPG, du FPS et du jeu de zombie, Dead island se révèle d’abord disciple appliqué de ses modèles, qu’il pille sans vergogne. Son immensité topographique et son foisonnement de quêtes égalent parfois la densité vertigineuse d’un Fallout new Vegas ou d’un Mass effect. Doté d’une action constante et mécanique, le jeu chasse sur les terres de Dead rising, auquel il pique aussi la customisation d’armes artisanales, quand il ne racole pas auprès du joueur de Left 4 dead par sa vue subjective et son mode coopératif. Tous ces emprunts se voient heureusement accommodés, contre toute attente, à la personnalité même du titre. Si sa variété et son souci de scénarisation des quêtes secondaires offrent au titre une longévité honorable, Dead island peut avant tout s’enorgueillir de son atmosphère. Son cadre balnéaire et tropical apporte un décalage bienvenu, et parfois somptueux, au sempiternel decorum apocalyptique urbain. De cet écart au genre émane une ambiance astrale, parfaitement greffé à la désolation cannibale. Tension d’autant plus communicative que s’y s’ajoute une ingénieuse distillation d’« infirmités » imposées par le gameplay. Endurance affectée par chaque action, usure rapide des armes, réalisme des sensations subjectives, la progression dans Dead island peut parfois s’avérer surprenante d’anxiété, l’appréhension d’une menace omniprésente masquant ses réelles avaries de fignolage.
Car il faut bien l’avouer : Dead island est buggé jusqu’à l’os, trainant tristement la patte comme ses monstres décharnées. Le laxisme de son interface multijoueur et ses répercussions anti-coopératives, ses incohérences de gameplay (respawning aléatoire dans un jeu de zombie !), et l’insignifiance totale de sa trame principale endiguent toute autre ambition que celle de défouloir/série B de luxe. Mais la plus grande déception reste peut être son manque de considération, ludique et symbolique, envers ses créatures. Là où les deux Left 4 dead et leur déferlement de hordes de morts vivants dynamisaient enfin le genre, Dead island revient sagement au monstre solitaire du survival horror, tapi dans un coin ou camouflé parmi d’autres cadavres, n’offrant d’autre consistance que son art de l’irruption-surprise.
Tout aussi indigent, le traitement symbolique du zombie, son allégorie politique de l’anarchie terminale, ne semble pas ici la préoccupation des développeurs. Plus affairés à caricaturer gentiment la beaufitude d’un tourisme insulaire type Ibiza, ceux-ci délestent leur sujet de gimmicks cruciaux au genre. Pour ne rien arranger, la fadeur des PNJ ne motive pas plus à sauver les quelques relents d’humanité qui trainent encore sur cette île des damnés. Quelle erreur, avec un terrain de jeu aussi immense, de négliger à ce point le background social tant le jeu s’échine – sauvagerie des combats et ambiance morbide – à propulser l’instinct individuel de survie à un rare degré d’incarnation.