Darksiders premier du nom participait d’un malentendu. A l’époque où le beat’em-all mythologique cartonnait, pour le pire (Dante’s inferno) comme le meilleur (Castlevania : Lord of shadows), le jeu de Vigil Games se retrouvait accusé d’opportunisme falot. Il n’avait pourtant rien d’un clone de God of war. Révision ubuesque de l’Ancien Testament et du verset dédié aux 4 Cavaliers de l’Apocalypse, le jeu ne se limitait jamais à la trajectoire linéaire et exponentielle du beat’em-all. Avec son open-world rudimentaire, ses allers-retours incessants entre donjons labyrinthiques, ses objets de quête laissés sur le cadavre de boss colossaux débloquant l’accès à des zones inaccessibles, le jeu se faisait surtout l’héritier, apocalyptique et mal peigné, du canonique Zelda.
Fort d’un succès surprise, la licence était logiquement attendue comme le Messie, surtout par son éditeur (THQ), en perte de vitesse depuis quelques mois. Cette position de fragilité, qui entraîna son report à plusieurs reprises, explique en partie la nature bâtarde de ce deuxième épisode : un blockbuster conscient de lui-même, aussi conquérant que timoré. La suite peut se vanter d’une aventure doublement plus longue, graphiquement sublime, augmentée de phases de plateforme et de Parkour qui musclent son dynamisme. De nombreuses implantations RPG (loot, gestion tactique des armes et des effets élémentaires) y font également apparition, ce qui a le mérite de complexifier les bourrinades qui sur-peuplent le jeu. Comme phobique à tout danger de répétition, le jeu multiplie, jusqu’au trop-plein, les croisements de gameplay en copiant sagement ses confrères. Tel niveau se rejouera comme une révision (ratée) d’un Left 4 dead, tel autre (plus malin) axera ses énigmes sur les portails inter-dimensionnels comme Portal. En résulte un spectacle dantesque, aux contours de gloubiboulga codé aux stéroïdes, stakhanoviste et volage, qui se diversifie autant qu’il s’éparpille. Son écueil majeur reste sa timidité narrative. Car Darksiders II n’a rien d’une suite en soi. Son récit se déroule en parallèle du premier épisode, et s’incarne via un autre Cavalier (Death, le frère aîné du premier héros). De ces récits jumeaux, sujets à de belles inflexions entre espace-temps, le jeu n’en fait rien, ou presque. La prise de risque se veut minimale, et elle ne cache jamais longtemps sa doublure programmée : celle d’un roller-coaster sur rail, apte à reprendre et recracher, avec plus d’ampleur, les préceptes juteux de son aîné.
Mais il serait hypocrite de renier ce plaisir brut et puéril que Darksiders II procure parfois. La générosité avec laquelle le jeu déploie son monumentalisme (certains décors, rappelant les enfers picturaux de Bosch, sont à tomber par terre), se mêle, jusqu’au vertige, à une action en flux tendue, portée par le charisme de son avatar. Il n’y aucun hasard que son directeur artistique, Joe Madureira, soit aussi célèbre comme auteur de comics (certaines adaptations des X-men, notamment). Son trait, entre imagerie geek et mysticisme de bazar, trouve à chaque fois une distanciation parfaite entre le mythe et sa vision pop. A ce titre, on n’est pas prêt d’oublier son héros, Death, drôle d’accouplement entre un Grindhouse et un comics gothique, maniant aussi bien la faucille géante que le colt de desperado. Autant d’excentricités bigarrées qui font de Darksiders II un des plaisirs coupables les moins roublards de ces derniers mois.