On se demandera longtemps s’il faut encenser ou conspuer John Romero. Petit rappel avant d’en venir aux faits : tout petit déjà, John Romero portait les cheveux longs et écoutait du heavy metal. De ce monde de brutes, il retint le principe fondateur suivant : il faut que ça bastonne grave. Alors John Romero qui était programmeur à ses heures (il pondait du code en écoutant Nine Inch Nails ce qui n’est pas donné à tout le monde) eut la géniale idée de commettre un jeu techniquement bluffant et d’une violence rare. Ce jeu, devinez… C’était Doom. Hé oui tout de même. On connaît la suite : les cheveux de John poussèrent, ses Ferrari aussi, et avec sa très chouette bande de copains, il mis au monde l’ineffable Quake : un bain de sang dans des décors post-futuristes crades à faire blêmir un fan de Morbid Angel (ceux qui connaissent me comprennent). Le First person shooter (FPS) était né. Ô joie, ô bonheur d’une génération entière de psychokillers de la souris. Et on s’étripait en deathmatch, et on se cognait une trentaine de niveaux solo bas du front (« Oh un levier, oh une porte…que faire ? »). Quake a fait plus pour la violence entre amis que la balle au prisonnier ou le pissou massacreur (ceux qui connaissent me comprennent). Quake a aussi engendré une palanquée de clones dégénérés dont la médiocrité ferait sourire un chef de produit de chez Hasbro Interactive (ceux qui connaissent me comprennent, encore une fois…). Bref, du quake-like on en a eu et on en aura encore. Notons qu’en quelques années le genre aura également accouché de petits bijoux. On citera Half life, surtout. D’où le dilemme : faut-il encenser ou conspuer John Romero, l’homme par qui tout arrive (sauf Daikatana, ceux qui connaissent me comprennent), le meilleur comme le pire ?
Poussons le raisonnement plus loin : les FPS brillent globalement par leur bestialité. Qui oserait prétendre que le deathmatch est un concentré de subtilité ? On pourra objecter que certains mods tirent leur épingle du jeu en affinant les règles. Reste que depuis Quake III et Unreal tournament, les FPS prennent le chemin du multiplayer de base en laissant le jeu solo dans l’ornière. On s’y attendait. Résultat : les missions solo ont perdu tout intérêt dans la plupart d’entre eux. Nous voilà avec une problématique de qualité : faut-il privilégier la jouabilité en multi ou la qualité du jeu solo ? Les deux ? Ne rêvons pas. Les éditeurs doivent nourrir leur famille, comme tout le monde. Il faut bien vivre. Heureusement, une fois pas an environ, sort un ovni aux missions parfaitement scriptées et à l’IA digne de ce nom. Ainsi, on se souviendra avec émotion des marines de Half life, fourbes et retors comme un contrôleur de gestion (?). On se souvient moins, et c’est bien dommage, de Dark project, excellent simulateur de vol (comprenez larcin, et non vol aérien) sorti des neurones frémissants d’un développeur trop méconnu : Looking Glass. Ces gens-là savent ce que jeu solo veut dire. Pensez : Ultima underworld, System shock, c’était eux. Des claques, à l’époque. Réjouissons-nous, car la suite de Dark project débarque enfin. Dark project II combine avec génie le moteur graphique d’un FPS avec le gameplay d’un Metal gear solid (bien connu dans les milieux consolophiles).
Résumons : vous incarnez Garrett, un voleur cynique de type médiéval avec capuchon en cuir, dague, arc et toutes ces sortes de choses. Vous allez devoir vous la jouer discret dans une quinzaine de missions qualité zéro défaut. Ici on n’éventre pas, on assomme. On joue avec les ombres, on progresse prudemment. Et la moindre faute est sanctionnée par une mort quasi certaine, car la garde est prompte à occire les jeunes chiens fougueux persuadés, pour avoir trop quaké, qu’on peut faire le ménage à grand coup de grenades sans faire lever un sourcil à dix mètres de là. Soyons clairs, pas question de sortir le railgun, d’ailleurs vous n’en avez pas. Camouflage et pas de velours, ce qui nous change des invariants quakiens surplombés au bazooka. C’est donc avec un léger sourire de contentement, les sens en alerte mais les neurones zenifiés que l’on progressera dans les excellents niveaux constituant cette providentielle antithèse au barouf entre gros bras. Profondément immersive, l’épreuve requiert le doigté qui fait si cruellement défaut aux accros du boum boum entre amis. A peine reprochera-t-on un background médiévalo-mécaniste sans grand intérêt et un moteur graphique classe sans plus. Oui, le plaisir est ici solitaire mais ô combien sophistiqué. D’où le constat final : on choisira Dark project II comme l’on préférera la volupté d’une nuit d’amour à la frénésie crasse des clubs spécialisés pour adultes consentants. Ceux qui connaissent me comprennent…