Difficile d’imaginer titre plus commun pour un puzzle game. Color Zen, donc. Des formes en couleurs et une ambiance (globalement) sereine. On réunira les bidules et les machins selon le bon vieux critère bejeweledo-puyopuyesque du « qui se ressemble s’assemble » et on passera au niveau suivant – on en dénombre 460, il y a de quoi faire. A condition, donc, de ne pas snober pour cause d’identité a priori peu remarquable ce jeu né au sein du studio new-yorkais Large Animal Games, fraîchement adapté sur 3DS et Wii U par les Slovaques de Cypronia et qui, à l’usage, se révèle tout sauf ordinaire. Dans le genre, c’est même l’une des meilleures surprises de ces derniers mois. Un nouveau puzzle game qui n’est pas le jumeau plus ou moins déguisé d’un autre. Un truc de fou, quoi.
Plastiquement aussi, on pourrait trouver Color Zen banal avec ses lignes, triangles et autres formes simples – pas le moindre bonbec clinquant à se mettre sous la dent. Et puis non, c’est tout le contraire : ce dépouillement qui se marie idéalement avec la bande son electro faussement discrète mais qui reste en tête de Steve Woodzell, c’est l’élégance même, celle de l’art abstrait, duo de carrés et quatuor de ronds colorés sur fond gris qui nous parlent par la manière même dont ils sont disposés sur la toile – pardon, sur l’écran. D’autant que cette élégance se retrouve dans la mise en scène de Color Zen – qui vous invite sobrement à venir à lui sans faire le malin ni vous tirer rageusement par la main – et, surtout, dans ses puzzles mêmes. De l’un à l’autre de ses quatre modes de jeu (« classic », « reflection » – notre chouchou –, « serenity », « nature »), le principe reste le même. Faire entrer en collision (via l’écran tactile) deux formes de même teinte les fera disparaître tout en repeignant le fond de l’écran. Le but est qu’une fois débarrassé de tout ce qui l’encombre, ledit écran soit de même couleur que son cadre. Pour y parvenir, il faudra élaborer sa petite stratégie perso, s’y prendre dans le bon ordre et ne pas négliger les « objets » (noirs, blancs ou entourés de pointillés) aux capacités spéciales.
Comme tout vrai bon puzzle game, Color Zen oblige à penser différemment, à acquérir de nouveaux réflexes mentaux, à apprendre à voir autrement ce qui occupe ses écrans. Mais ce qui le distingue vraiment, c’est son approche esthète, la manière dont il parvient par son économie même de moyens à nous faire partager la « vision » de ses level designers. Il y a non seulement de l’intelligence mais, aussi, de la grâce dans la manière dont ses niveaux-problèmes à résoudre sont agencés. Le joueur ne se contente pas de s’oublier dans un rapport cybernétique avec le programme, avec la machine : il dialogue à distance avec l’esprit du créateur, admire son sens de l’espace, s’amuse ou – pourquoi pas ? – s’émeut de son sens de la composition dynamique. D’autant que, peu à peu, de subtiles variations se font jour et Color Zen révèle toute sa richesse ludique. Et l’on se prend à rêver que les adeptes de Candy Crush Saga lâchent leur came frelatée pour se convertir à son minimalisme artiste. Le monde serait plus beau.