Dans le monde merveilleux des jeux vidéo, le débarquement dans les salles obscures d’un ovni tel que Chicken run fait irrémédiablement le bonheur d’une industrie en panne d’imagination. Que demander de plus : un univers loufoque et déjanté à souhait, des héroïnes en forme de poules plus dingues les unes que les autres, le tout servi par un humour franchement décalé. Manquent un zeste d’interactivité, deux ou trois images bonus, et hop emballez, vendez !
Le résultat s’avère moins idyllique que prévu. Plutôt que de présenter une exploration innovante du monde des auteurs de Wallace & Gromit, Chicken run se borne à suivre à la lettre la trame narrative du film. Milieu des années 50. Les Tweedy, couple modèle de fermiers américains, vivent de l’élevage intensif de poules et de leur transformation en délicieuses tourtes. Bref, la basse-cour ressemble à s’y méprendre à un camp de concentration tout droit sorti de La Grande Evasion de John Sturges. Baraquements spartiates, chiens de garde féroces, ronde de nuit et fils de fer barbelés sur grillages font partie des quelques réjouissances prévues pour les gallinacés qui auraient la subite envie de faire le mur. Consciente du destin tragique qui l’attend, Ginger organise la rébellion et c’est au joueur que reviendra l’insigne honneur de mener à bien les diverses tentatives d’évasion de toute la troupe.
Première déconvenue : la pâte à modeler s’est pris un sérieux coup de serpette dans les dents. Les coulures et autres éclaboussures caractéristiques de Wallace & Gromit ont fait place à un monde de polygones tristes et mal découpés. La progression n’est pas en reste, constituant à elle seule un exercice de saucissonnage de haute volée. Chaque niveau s’organise autour de la réalisation de plans d’évasion soi-disant imparables. Entre le trampoline, les feux d’artifices ou encore la catapulte, le joueur doit rassembler les objets nécessaires à la construction des machines infernales disséminées dans le domaine de la ferme. L’environnement 3D, chiche au possible, s’accompagne d’une gestion des caméras complètement aléatoire qui ne cesse de gêner les déambulations du joueur. Quant à l’option obligatoire « je sens que je deviens poule », la vue à ras de terre finit d’handicaper une jouabilité déjà mince. Le dynamisme du film disparaît au profit d’une difficulté annihilée sous les effets d’une réalisation volontairement grand public. Très grand public… Oubliez les giclées d’adrénaline concentrationnaires : suivre les bips d’un radar incongru suffit amplement à éviter les allées et venues des chiens de garde et transforme cette opération de libération en une gigantesque balade téléguidée. Dans les cas les plus extrêmes, mitrailler les matons canins de quelques coups de chou-fleur bien assénés sera la seule possibilité de se dégourdir un tant soit peu les ergots. Une fois les divers éléments ramenés au bercail, débute une série d’épreuves dites d’action qui apporte en réalité la touche minime d’interactivité nécessaire à l’appellation « jeu vidéo » et qui se solde en cas de réussite par le déblocage d’une cinématique, extraite du film, supra compressée.
Là où Rayman offrait une exploration joyeuse et délurée d’un univers attachant, Chicken run donne dans la bouillie infâme et indigeste.