Un héros, un fouet, Dracula pour boss final. Pendant des années, Castlevania n’avait jamais eu à dépasser cette équation pour justifier ses pérégrinations gothiques. Née sous l’influence de Bram Stoker, la série de Konami avait fini, à force de suites et de spin-off, par remodeler sa propre mythologie. Symphony of the Night (1997, Playstation) reste l’épisode mémorable de la mutation d’un univers (Alucard, fils maudit de Dracula, y est le héros), mais aussi de tout un gameplay. Préférant suivre Metroid, le jeu remettait l’exploration labyrinthique au premier plan, comme nouvelle doctrine à suivre. L’action-plateforme des débuts s’étoffait alors de subtilités rôlesques (équipements, compétences, sésames à débloquer), qui firent la gloire de futurs classiques tels qu’Aria of Sorrow ou Harmony of Dissonance sur GBA. Persistant dans cette voie bâtarde (qui donna d’ailleurs le genre metroidvania), Castlevania et ses goules, de plus en plus hermétiques aux goûts mainstream, déclinèrent malheureusement vers le succès d’estime, relégué au rang d’objets de fan hardcore.
Puis vint 2010, et Lords of Shadow. Avec lui, un nouveau prétendant : Mercury Steam, studio madrilène, portant le désir de prendre un nouveau départ (lire notre entretien avec Dave Cox). En revenant aux sources de Dracula, Mercury Steam comblait non seulement un vide narratif, mais balayait aussi tous les préceptes de la saga, profitant de l’occasion pour s’engouffrer dans un beat’em-all interactif sous forte influence de canons modernes (les mêmes qui lui devaient pourtant tout : Devil May Cry, God of War). Le résultat, à la flamboyance mélancolique inespérée, fut l’une des meilleures surprises de cette année. Succès inattendu, Lords of Shadow a donc droit à sa suite. Si un volume 2 est attendu pour la fin de l’année sur next-gen, c’est d’abord cet épisode portable qui est chargé de combler l’ellipse séparant les deux blockbusters. Autre ambition, et de taille : Mirror of Fate reprend la guerre entre les Belmont, la célèbre famille de chasseurs de vampires, et Dracula, à travers le temps. A cet effet, Mercury Steam divise sa narration en bloc tripartite. Chacun de ses tiers voit une génération de Belmont (Simon, Alucard, Trevor) visiter le même décor, avec le même but (trouver Dracula), mais sur trois époques différentes. De cette articulation historique nait d’abord l’occasion pour Mercury Steam de rendre hommage à son héritage. Mirror of Fate se fait très justement le miroir de son évolution, revenant à une progression en plan 2D, au système metroidvania d’exploration, sans pour autant se désolidariser de Lords of Shadow et sa modernité, avec de nombreuses cinématiques intercalaires et interactives entre les combats, pour fluidifier une action de plus en plus chorégraphiée. Cette volonté de reconstruire une mythologie par l’espace reste néanmoins admirable, par sa capacité à redonner au château sa place prédominante sur l’expérience. Chacune de ses ailes se veut le lieu de commémoration d’un épisode passé, d’un gameplay retro ou d’un effet papillon entre les personnages, comme autant de clins d’œil à la mémoire du joueur.
Mirror of Fate commence donc très bien, et s’avère parfois excellent de fluidité. La progression du personnage, agrémentée de pouvoirs magiques (frapper redonne de la santé, ou provoque plus de dommage, etc.) trouve une dimension stratégique appréciable, qui faisait déjà le sel des combats Lords of Shadow. Dans cet écart entre l’ancien et le moderne, le jeu aurait pu s’imposer comme l’épisode de la transition harmonieuse, l’occasion de dresser un bilan sur le passé, pour mieux lui dire au revoir. Et pourtant, quelque chose s’effondre en cours de route. Si le jeu s’avère un écrin de toute beauté (le relief donnant un ton de comics gothique et pop-up), une désincarnation de ses enjeux se fait de plus en plus gênante. Le combat entre Dracula et sa descendance n’aboutit finalement qu’à une aventure aussi banale qu’expédiée, alourdies d’affreuses cinématiques et d’autres fautes de goût (QTE indigestes, combats de plus en plus lassants). Au climax de la révélation finale, aberrante de j’men-foutisme, le jeu se saborde alors avec une lucidité déprimante : celle de n’être qu’un épisode bouche-trou, utile pour ménager l’attente du grand barnum final, sans jamais oser lui faire de l’ombre. Ne reste qu’une promesse, en belle et due forme.
Lire notre entretien avec Dave Cox, producteur de la saga Lords of Shadow et Directeur de Konami UK Development Studio