Ah, Blade Runner (soupir). En 1982, Ridley Scott adaptait le roman schizoïde et claustrophobique de Phillip K.Dick. Ambiance. Déluge, ombres et néons nipponisants : le XXIè siècle azimuté de Blade Runner sublime le glauque, esthétise l’oppressant. Esthétique, Blade Runner ? Non, visionnaire. Pour preuve, L’anthologique chef-d’œuvre anti-datée fera référence dans la catégorie anticipation haut de gamme.
Blade Runner ou chasseur de Répliquants, ces androïdes zéro défaut, interdits de séjour sur Terre. Rembobinons : Harrison Ford -sympathique looser trentenaire façon polar hard-boiled- face à un Rutger Hauer halluciné, albinos et punkisant, pluie battante sous la nuit -ou l’inverse…- , chants éthérés et nappes de synthés new age avant l’heure. Souvenirs : le système Esper, capable de zoomer à l’infini sur un cliché afin de repérer un détail invisible à l’œil nu. Souvenirs encore, et justement : le test de Voight-Kampf, implacable et fameux protocole (« Votre enfance fut-elle heureuse ? ») destiné à démasquer les androïdes clandestins Tyrell Corp. La mécanique de l’ambiguïté (comment discerner les humains de leurs clones cyber ?) mènera le spectateur vers l’ultime doute : Suis-je un Répliquant ?
15 ans plus tard, les studios Westwood nourriront un peu plus notre paranoïa en livrant une adaptation sur coussins d’air de l’un des meilleurs longs métrage SF jamais tournés. Epatant concept : Westwood pulvérise le jeu d’aventure modèle Lucasarts/Sierra en redéfinissant les poncifs « cliquez ici/revenez plus tard ». Blade Runner, premier jeu d’aventure en temps réel, à mille lieues de la linéarité inhérente au genre, immerge le joueur désorienté dans un monde en mouvement. Plus fort : chaque nouvelle partie redistribue les cartes et quelques uns des 70 personnages non-joueurs virent leur cuti en passant allègrement de l’état d’humain à celui de repliquant. Argh. Le principe est posé. L’argument, lui, reprend les grandes lignes de l’œuvre : une poignée de Nexus 6, cyborgs dernière génération, a décidé d’avoir une âme. Finies les corvées bas de gamme, retour sur Terre et déstabilisation en règle du système établi. Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Oui, répond le chœur de Nexus en virée, décrétant du même coup qu’il est grand temps d’aller génocider les collaborateurs Tyrell Corporation, tous responsables -mais pas coupables ?- de la présente situation. Paradoxalement (quoique…), c’est le supplément d’âme évoqué plus haut qui poussera les Nexus au(x) crime(s).
Catapulté sur la piste des fâcheux, Mc Coy, Blade Runner débutant tendance H. Ford, largué -et nous avec- au centre d’une enquête grand teint et semi-dépassé par les événements. Car Mc Coy a beau jouer du Magnum 44 et se la raconter Mike Hammer 2019, le bougre n’en finit plus de s’abîmer les neurones à suivre des pistes labyrinthiques.
Graphiquement, le jeu confine au sublime : on y retrouvera avec bonheur les volutes de fumée, la lumière rasante bleu gris et les mégas écrans publicitaires tendance zaibatsu high tech qui avaient fait l’ambiance du film. Un souci, l’ultra-pixelisation des personnages en gros plan, pas vraiment rédhibitoire, mais franchement beurk. Les scènes cinématiques 3D devraient en revanche scotcher les plus blasés, tant la motion capture assure un rendu qualité totale. Intact, au final, le design atmosphérique de R. Scott. Intactes aussi, malgré un double portage en série, les obsessions monomaniaques du déjanté Phillip K. Dick (conspirations, paranoïa, multinationales machinatrices, population déshumanisée…) : de quoi culbuter dans la jubilation le consensus politiquement correct/innovation zéro à la Sierra (encore…). Ajoutez un doublage qualité pro (savourez, la prouesse n’est pas si fréquente…), et posez-vous au passage une question vitale : comment les studios Westwood peuvent-ils s’autoriser à sortir à un mois d’intervalle un jeu aussi graphiquement mal foutu que Lands of Lore II et un Blade Runner à l’esthétique parfaite ?
Blade Runner, parfait ? Constat d’évidence : oui, simplement parfait… Trop. Au fait, vos parents étaient-ils attentionnés ?