Ce n’est sans doute pas un hasard si Bayonetta commence son histoire par une violation de sépulture et la conclut par un enterrement. Après une quinzaine d’heures menées tambour battant (un rythme qui surpasse celui d’Uncharted 2, c’est dire), physiquement épuisantes, ludiquement éblouissantes, difficile de discerner si l’on vient d’assister à la renaissance d’un genre ou à ses funérailles en grandes pompes.
Une seule certitude, celle d’avoir approché une oeuvre somme qui déplie son ADN hystérique autour d’une ambition démesurée : la réappropriation intégrale par son procréateur, Hideki Kamiya, de l’héritage beat post Devil may cry, tant japonais (DMC justement mais aussi Ninja gaiden) qu’occidental (God of war et ses clones) et sa saturation vers un crépusculaire no future. Son système de jeu accessible et profond synthétise l’art du combo en substituant l’usage irritant du « par coeur » par celui de l’« à propos ». En son coeur, une marque de fabrique que l’équipe des ex-Clover n’ont cessé, de Viewtiful joe à Okami, de perfectionner et de recontextualiser : le ralenti.
Ici, en récompense d’une simple esquive bien placée, il offre un postulat démocratique aux novices comme aux habitués du genre pour la construction du beau geste laissée à la discrétion du joueur, à sa persévérance, à curiosité, à son envie de piocher dans un bac à lego hypnotique d’enchaînements (intelligemment réaffiché et testable in situ à chaque écran de chargement). Mais cette débauche gestuelle construite autour d’un gameplay aussi généreux que welcoming, faisant honneur à la grande tradition du gamedesign japonais, eut été bien vaine sans un vaisseau de chair, ici une héroïne, à la hauteur de sa prodigalité. Que la puissance d’évocation proprement sexuelle des chorégraphies de cette créature, sans doute la plus innocemment perverse jamais mise en mouvement, participent sans jamais trahir à son ambition ludo spectaculaire totale (« Non stop climax action », comme le définit Kamiya) constitue un exploit pop culturel majeur. Du beat’em-all, Bayonetta constitue le Kama-sutra autodidactique.
Il faudrait encore parler d’ébouriffantes séquences en véhicules, du modus operandi de ses inoubliables boss (se permettant des retours qui obligent à un changement total de stratégie, diversité toujours !), d’une variété d’ennemis, de situations, d’upgrades, d’incitations à y revenir tutoyant la profondeur des meilleurs RPG. Mentionner les multiples clins d’oeil tendres à Sega, à Clover et au patrimoine ludique japonais. Il s’agît là d’un jeu conscient de son héritage, de la valeur de son rang, presque patriotique dans le constat lucide des hautes luttes pour reconquérir un territoire, une industrie à de nombreux égards aux mains des gaijins. Au final, Bayonetta a de quoi faire peur tant Kamiya et son équipe pratiquent ici et à hauteur d’un genre tout entier une véritable politique de la terre brûlée. Un autre beat est-il possible après Bayonetta ? La réponse, plus qu’incertaine, semble condamnée à se dessiner dans le tirage des cartes et les séances de voyance pure. Pour l’heure, la sorcière de Platinum Games savoure son éclatante victoire en dansant nue autour de son grand brasier. Un feu de joie. Un feu sacré.